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succédant à des distances de 75 mètres, s’il part de la 1re rue pour aller à la 100e, il sait qu’il doit faire un parcours de 7,500 mètres ou 7 kilomètres 1/2. Il est une fois pour toutes orienté et trouve pour ainsi dire les yeux fermés une adresse quelconque. Il est bien entendu que ce système, aussi simple qu’ingénieux et commode, ne peut être adopté que dans une ville bâtie sur un plan tracé d’avance, et qu’il est inapplicable à Paris comme au vieux New-York.

Le New-York de 1874, entre la Batterie et le Parc-Central, le bois de Boulogne de la ville impériale, est divisé en 22 wards ou arrondissemens, dans chacun desquels est une inspection de police et un service télégraphique pour prévenir des incendies. Dès que le feu éclate quelque part, les pompes à vapeur se mettent en mouvement, traînées par d’intelligens chevaux, accourent sur le lieu du sinistre, et l’on sait avec quelle énergie, quelle promptitude elles opèrent : c’est à qui devancera tous les autres.

Les 1er, 2e, 3a et 5e wards sont occupés par le quartier des affaires : c’est, à proprement parler, le bas de la ville, down-town, la partie sud de New-York ; dans les 4e, 6e et 7e wards, entre Broadway et la rivière de l’Est, grouillent les émigrés italiens, les pifferari, et la plus grande partie des classes dangereuses de cette ville si diversement peuplée. Dans le 9e ward, naguère un des centres du monde élégant, sont restées d’anciennes familles, surtout de souche hollandaise. Le calme de ce quartier contraste avec l’agitation des quais voisins de l’Hudson, et le style sévère de ses maisons d’habitation avec la mauvaise tenue des bicoques qui s’alignent le long du grand fleuve. Les Français occupent presque entièrement le 8e ward avec leurs cafés, leurs restaurans, leurs magasins. On n’y entend parler que notre langue. Blanchisseurs, boulangers, fabricans de fleurs artificielles, nos compatriotes exercent une foule de petits métiers qui ne les enrichissent guère. Ils s’ingénient à vivre comme ils peuvent dans ce vaste pandémonium, aux mouvemens duquel ils ne se mêlent point. Ils regrettent la France et ne songent qu’à y revenir. Voici, dans le 11e ward, les Allemands et les Irlandais, aussi nombreux à New-York que les Américains de naissance, et pour toujours établis dans leur pays d’adoption. Ici les rues fourmillent d’enfans. Les Allemands ont importé dans la grande ville leurs orphéons, leurs brasseries sous les tonnelles, — les Irlandais leurs coutumes batailleuses ; les fils d’Érin sont de toutes les agitations politiques et déterminent par leurs votes le succès du parti démocratique, qui a presque toujours régi New-York. Le lord-maire de Dublin, reçu en Amérique au milieu des ovations, y complimentait récemment ses compatriotes, et remarquait que New-York était après Dublin la ville qui renfermait le plus d’Irlandais. Il aurait pu ajouter aussi que c’était celle qui contenait le plus d’Allemands après