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étoffes soyeuses et mille colifichets féminins. Les bénéfices nets du patron, à chaque inventaire de fin d’année, se soldent par des millions de dollars. On parlait de 3 millions, soit 15 millions de francs pour chacun des derniers exercices.

Les théâtres, par la magnificence qui distingue la plupart d’entre eux, marchent de pair avec les magasins et les hôtels. L’Académie de musique, où l’on joue tous les hivers l’opéra italien ; le Théâtre-Français ou Lyceum, où l’on donne nos opérettes ; le théâtre de Booth, où trône Shakspeare sous la direction des deux frères de celui qui assassina Lincoln, et qui était lui-même le premier tragédien des États-Unis ; le Grand-Opéra, bâti par le banquier Fisk, qui trouva plaisant d’avoir ce théâtre à côté des bureaux du chemin de fer dont il avait pris la direction, — toutes ces salles sont vastes, décorées avec goût, bien aérées, bien éclairées, et l’on y circule aisément. Il est inutile de citer Bowery, chéri du peuple et renommé pour ses pièces lugubres, Niblo’s, Olympic, Wallack, et nombre d’autres, où l’on joue le drame et la comédie, quand des minstrels ou ménétriers, travestis « en nègres d’Ethiopie, » n’y exécutent pas leurs danses de caractère et n’y chantent pas leurs traditionnelles chansonnettes, initiant les hommes du nord à l’ancienne et pittoresque vie des esclaves du sud. Non contens de cela, les minstrels se permettent une foule d’allusions transparentes sur les choses et les hommes du jour : on dirait le théâtre d’Athènes au temps d’Aristophane. Récemment, à propos d’un débat scandaleux qui s’est élevé au milieu de l’église de Plymouth, à Brooklyn, et où le célèbre prédicateur Beecher, directeur de cette congrégation, a été compromis de la façon la plus grave avec une de ses pénitentes, les minstrels s’en sont donné à cœur joie tous les soirs. Renchérissant sur les allusions, un théâtre de genre a fait mieux : il a impudemment mis en scène ce sujet scabreux, et chacun a pu marquer de leur vrai nom les principaux personnages de ce triste drame. Sur les planches, la liberté côtoie bien vite la licence, et l’on voit en ce moment à New-York exhibées tous les soirs à certains théâtres les danses les plus impudiques.

L’Amérique n’a pas, à vrai dire, de théâtre national, ni même d’artistes indigènes, à part les minstrels. Tous les autres artistes, surtout ceux des théâtres lyriques, viennent ordinairement d’Europe. Les pièces qu’on joue sont écrites par des auteurs américains, et alors elles sont d’une médiocrité qui désarme toute critique, ou empruntées au théâtre anglais. Sheridan, Shakspeare ont des interprètes de mérite, et Mme Cushman donne heureusement la réplique au tragédien Booth, héritier du talent de son frère. On s’étudie à traduire les pièces les plus en renom du théâtre français contemporain. Volontiers on déguise la traduction sous le nom d’adaptation