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qui imprime ce dernier, et qui fait seule toute la besogne, est la plus rapide, la plus puissante, la plus ingénieuse qui se puisse voir.

On sait que la presse américaine tient à honneur d’être toujours en éveil, sur la brèche, aux aguets. Elle a jeté partout, sur l’un et l’autre hémisphère, le bataillon de ses enfans perdus, ces irréguliers qu’on nomme les reporters. Ils ont mission de tout relater, et rien de nouveau ne leur échappe. Quelques-uns sont des observateurs du premier mérite. On ne recule devant aucune avance d’argent, et l’on fait d’énormes bénéfices. On a devancé quelquefois les gouvernemens eux-mêmes dans la connaissance des nouvelles politiques. C’est le Herald qui, lors de la guerre d’Ethiopie, a fait passer aux Anglais le télégramme annonçant la prise de Magdala ; c’est lui, c’est un de ses reporters, depuis lors justement célèbre, M. Stanley, qui a découvert Livingstone, perdu depuis des années autour des grands lacs de l’Afrique centrale. Le Herald a été fondé par M. Bennett, un Écossais émigré et pauvre, qui y a fait une immense fortune. Il est mort récemment, et son fils lui a succédé. On évalue à 10 millions de francs le montant des annonces annuelles du Herald ; c’est 30,000 francs par jour. Une des curiosités de cette feuille sont les personals qui en ouvrent la première colonne. Les amoureux, avec une insistance quotidienne qui jamais ne se lasse, y dévoilent leurs tourmens et demandent des rendez-vous. Le Herald, bien que républicain, a vigoureusement combattu la troisième réélection à laquelle récemment semblait aspirer le général Grant, et démontré l’un des premiers les dangers du césarisme qui menaçait la république américaine. La campagne a atteint son but : le général a fait dire publiquement par ses amis que, fidèle au précédent créé par Washington, il ne se représenterait pas une troisième fois.

Si le Herald est le rival heureux du Times de Londres, la Tribune n’a pas de rival aux États-Unis pour la bonne tenue, le sérieux et l’honnêteté de sa rédaction. Feu M. Horace Greeley, qui joignait à sa qualité de journaliste celle d’agronome distingué, et qui faillit, aux dernières élections présidentielles, l’emporter sur le général Grant, a été jusqu’à sa mort l’âme de la Tribune. Un des premiers, il y a prêché l’émancipation des esclaves et s’est déclaré contre le sud. C’est encore lui qui dénonça publiquement, il y a quatre ans, les fraudes d’une municipalité sans vergogne, et paya de sa bourse une copie de registres falsifiés qui permirent de convaincre et de condamner les coupables. Le public avait pour cet homme, un peu paradoxal, de façons surannées, une vénération profonde. On aimait et l’on aime encore à répéter ses bons mots. On le savait intègre, dévoué sans réserve à la chose publique ; c’était le Franklin moderne de New-York.