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primitivement celui qu’on donnait aux culottes courtes que portaient les premiers immigrans. Leurs fils ont relevé ce sobriquet avec une sorte de fierté, et quelques-uns sont restés fidèles, avec une ténacité touchante, aux mœurs austères sinon aux costumes d’autrefois. C’est avec la culotte serrée aux genoux, les souliers à boucle, la perruque à queue et le tricorne sacramentel que la caricature aime à représenter en Amérique le personnage légendaire de Knickerbocker, le primitif colon.

Au temps où elle était hollandaise, l’île de Manhattan comptait à peine quelques centaines de hardis, traitons qui faisaient, avec les Mohawcs et les Mohicans, Indiens des nations iroquoises et algonquines, le commerce des fourrures et surtout des peaux de castor. Les marchands établis à demeure à Fort-Orange et Nieuw-Amsterdam échangeaient ces pelleteries contre des armes, des munitions, de l’eau-de-vie, et les envoyaient dans les Pays-Bas. En retour, la mère-patrie expédiait sur ce point perdu du Nouveau-Monde des vivres, des liqueurs, des hommes. On ne tarda pas à cultiver le tabac, les légumes, le blé, à élever du bétail, à moudre le grain dans des moulins à vent qui s’élevaient, sur des éminences naturelles au milieu de la Nouvelle-Amsterdam. Des gouverneurs, envoyés d’Europe ou nommés par les résidens, régissaient la petite colonie. Un fort, dont on voit encore les traces, commandait l’embouchure de l’Hudson ; chaque soir, lorsque sonnait la retraite, les habitans rentraient chez eux et s’endormaient paisibles derrière les fossés et les murailles qui les mettaient à couvert d’une surprise des Indiens. Pendant le jour, au lieu qu’on nommait la Parade, devenu depuis la Batterie, on se promenait, on devisait devant la magnifique baie où l’Hudson marie ses eaux à celles de l’Océan. Pour tous ces colons peu affairés, le temps ne comptait guère, et le véridique historien de ces âges primitifs nous dit qu’à défaut de chronomètre on marquait les heures par la quantité de pipes que l’on fumait.

Ces façons patriarcales changèrent avec la domination anglaise. Le nombre des habitans passa bien vite de quelques centaines à plusieurs milliers, les affaires prirent un rapide, essor, on établit un marché aux esclaves, on fonda un journal. Les armateurs de New-York ravitaillèrent de farine et de viande salée les Antilles, qui leur expédiaient du sucre et du café. Cependant d’autres places de commerce telles que Boston au nord, Philadelphie, Baltimore, Charleston dans le sud, l’emportaient sur New-York. La place de Newport, dans le Rhode-Island, florissante par la pêche de la baleine, lui était aussi supérieure. Vint la guerre de l’indépendance (1776). New-York resta jusqu’à la fin le centre des forces anglaises ; elle ne fut évacuée qu’en 1783, à la signature de la paix. Dix ans après, sa population avait doublé : New-York comptait alors 35,000 habitans.