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vingtième des successions, enfin régla par une loi frumentaire les distributions de blé faites à prix réduit au peuple de Rome. Il faut se garder de confondre ces lois frumentaires, qui s’appliquaient exclusivement à la Ville, avec l’institution alimentaire, qui ne concernait que l’Italie. Quoique Pline ait dit un mot dans son Panégyrique des alimenta, ces deux institutions n’ont aucun rapport entre elles, ni par leur objet, ni par leur organisation. Aurélius Victor fait l’honneur à Nerva d’avoir conçu le projet de cette création, mais c’est Trajan qui en arrêta le plan, en appliqua les principes et en étendit les effets à toute l’Italie. Des deux monumens officiels que nous possédons sur ce vaste et fécond établissement, l’un est daté de 101 et l’autre de 104.

On sait qu’au temps de la république l’usage de faire au nom de l’état des distributions de blé à titre gratuit, et plus régulièrement à prix réduit, était général à Rome. La générosité intéressée des particuliers et surtout des personnages les plus opulens concourait de son côté à soulager la misère, c’est-à-dire à favoriser la paresse de la plèbe. Ces sortes de distributions, on le comprend, ne pouvaient avoir dans l’origine rien de fixe ni de réglé, rien qui présentât le caractère d’une institution. Elles avaient au contraire toutes les conséquences funestes d’un abus, car elles donnaient pour serviteurs aux ambitieux un peuple de mendians ; elles perpétuaient l’abaissement avec la misère, et rendaient le travail inutile et presque suspect.

Quant aux largesses de l’état, les habitans de Rome s’y habituèrent si bien qu’ils les considérèrent bientôt comme un droit. On chercha dès lors à les réglementer ; mais ces tentatives demeurèrent longtemps sans effet, et vers la fin de la république les triumvirs, qui se partagèrent, puis se disputèrent le pouvoir, virent dans l’exploitation de cet abus même une source de popularité. César et Auguste comblèrent cette multitude oisive de dons magnifiques, et le monde vaincu et opprimé contribua de ses dépouilles à encourager l’inertie et à nourrir la pauvreté volontaire et insolente du peuple-roi. Sous leurs successeurs, les congiaria et les missilia devinrent plus fréquens encore. Les empereurs élus par le sénat, acclamés par le peuple et protégés par la garde prétorienne, comprirent que le secret de leur conservation et de leur durée était l’adhésion des cohortes et celle de la Ville, enfin qu’il fallait gagner ou acheter Rome. Cependant les distributions de blé à prix réduit commencèrent à être soumises à un mode régulier ; on commit le soin de veiller à ces distributions à de hauts fonctionnaires de la carrière sénatoriale (prœfecti frumento populo dando) ; mais c’est surtout à l’arrivée de Trajan à Rome que ces largesses furent réglementées d’une façon mieux ordonnée. Cet empereur prit soin de