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faire, ils étaient toujours des hommes de finance et des officiers privés de ce prestige qui s’attachait au rang ; partant ils étaient tenus à la même distance des familles de sénateurs que les traitans de l’ancien régime en France l’étaient de la noblesse d’épée. Le petit nombre de chevaliers romains qui pendant le cours des trois premiers siècles est parvenu à briser la séparation que l’usage avait mise entre les deux carrières constitue une très rare exception. On avait vu quelques affranchis se glisser parmi les fonctionnaires équestres, et cette circonstance seule aurait suffi à rendre très difficile à ces derniers l’accès des honneurs.

Au point de vue géographique et administratif, l’empire, à l’avènement de Trajan, était formé d’abord de Rome, divisée en quatorze quartiers depuis Auguste, administrée par le préfet de la ville, les tribuns et les édiles ; la police y était faite par la garde urbaine et les vigiles, elle était la résidence ordinaire du souverain et par conséquent de sa garde prétorienne, renforcée d’une escorte particulière, espèce de cent-gardes appelés équités singulares. C’était à Rome seulement que pouvait se réunir le sénat. C’était donc le centre administratif du monde ; c’est de là que partaient les ordres pour toutes les provinces impériales et sénatoriales, et à cette occasion nous devons faire une observation qui donnera beaucoup à penser aux partisans des ressorts compliqués de notre administration moderne : la chancellerie impériale, composée de peu d’employés, le sénat avec ses secrétaires, et les grandes familles sénatoriales avec leurs gens à elles, affranchis et esclaves, suffisaient à tout. Ainsi le monde romain a été maintenu dans l’obéissance, a été gouverné et administré pendant trois siècles sans ministres et sans bureaux !

L’Italie avait été divisée par Auguste en onze régions, sans doute pour faciliter le service de la statistique et de la perception des impôts de l’enregistrement, les seuls que la péninsule eût à payer, car l’Italie, exempte du service militaire, l’était aussi de l’impôt foncier. Toutes les cités avaient leur constitution municipale, représentant l’image fidèle d’une petite république, nommant ses magistrats annuels, ayant ses assemblées du peuple et son conseil de cent décurions, dont la liste était remaniée lors du cens par les duumvirs ou quatuorvirs élus cette année-là, c’est-à-dire tous les cinq ans. Or un pays qui ne paie pas d’impôts directs, qui est dispensé du service militaire et des prestations, qui s’administre lui-même, qui jouit du droit de cité et participe au bénéfice d’une constitution identique à celle de Rome, devait se croire et se croyait en effet dans une condition exceptionnellement heureuse. Quant aux provinces, elles n’étaient pas aussi bien partagées, puisqu’elles payaient les deux impôts direct et indirect, et qu’elles devaient satisfaire à la