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III

Il y a deux parts à faire dans le règne de Trajan : la suite des événemens politiques et militaires — et les institutions, à quoi l’on peut ajouter le tableau de l’organisation de l’état et de la société romaine de son temps. Si nous avions à raconter ce règne, c’est même par là qu’il nous faudrait commencer, car c’est le préambule nécessaire de cette histoire. Après la révolution qui précipita Néron et mit fin à la famille d’Auguste, après l’agitation qui suivit sa chute et au lendemain du détestable despotisme de Domitien, on sent qu’une ère nouvelle commence avec Nerva ; il n’est assurément pas sans intérêt de montrer au commencement du grand siècle des Antonins le monde romain tel qu’ils l’ont trouvé, afin qu’on comprenne bien ce qu’ils en ont fait ; on jugerait mieux leur ouvrage, ayant ainsi le point de départ et le point d’arrivée. L’épigraphie seule peut nous instruire de l’un et de l’autre. Nous commençons à voir clair dans cette organisation, et le temps est passé des peintures colorées et vides, de ces sombres et faciles tableaux de la démoralisation, de ces banales lamentations sur l’abaissement des esprits et des caractères ; cela est à sa place dans Tacite, qui avait surtout Rome en vue, et, dans Rome, l’aristocratie républicaine sous les pieds des césars. Cet horizon restreint est aussi celui de Suétone, c’est surtout celui des poètes qui sont dans toutes les mémoires : Martial, Juvénal ; mais Rome n’est pas le monde. Rome, nous la connaissons ; ce qu’on ignore, c’est l’Italie, ce sont les provinces et surtout les cités, cet élément durable et même éternel de la vie politique dans l’Europe civilisée. On s’étonne qu’un des hommes en Europe qui eussent pu le mieux réunir et mettre en œuvre les élémens de cette histoire de l’empire romain, qui eussent pu même peut-être la bien composer et l’écrire avec talent, M. Mommsen, se soit arrêté, comme effrayé, sur le seuil. Si le savant de Berlin, auquel nous ne devons pas plus marchander l’éloge que nous ne lui avons épargné le blâme, si M. Mommsen lui-même, qui est à la fois épigraphiste et jurisconsulte, qui connaît à fond les écrivains classiques, et qui a même corrigé, interprété et publié un certain nombre de leurs textes, semble croire que l’heure n’est pas encore venue d’aborder cette tâche périlleuse, une aussi sage réserve ne doit-elle pas nous servir d’avertissement ? Mais, s’il est encore trop tôt pour aborder ce travail, il est du moins permis d’indiquer comment on voudrait qu’il fût compris et traité.

Serait-ce trop exiger de l’historien qui aborderait une si belle tâche que d’attendre de lui un tableau de la constitution de l’empire