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nous apprennent des guerres de Dacie, M. Duruy ajoute : « On en peut apprendre bien davantage de la colonne Trajane, qui est pour la vie militaire des Romains ce que Pompéi est pour leur vie civile, la représentation fidèle des choses disparues depuis dix-huit cents ans. Les bas-reliefs qui se déroulent en spirales gracieuses autour de son fût de marbre blanc nous montrent les armes et les coutumes des légionnaires et des barbares, les engins de guerre, les camps, les attaques de forteresses, les passages de fleuves, Trajan lui-même haranguant ses troupes ou pansant les blessés, et le roi des Daces se jetant sur son épée pour ne pas survivre à son peuple. Ce monument de la gloire militaire de Rome a duré plus que son empire et s’élève encore au milieu des débris du forum de Trajan. Les siècles l’ont respecté et même les barbares, et il ne s’est pas trouvé une main sacrilège pour l’abattre. » Ce dernier détail n’est pas tout à fait exact, car la colonne Trajane a précisément été renversée par les barbares ; les morceaux en ont été recueillis et rétablis à leur place par Paul III, et, pour la mettre à l’abri du vandalisme de ses successeurs, Sixte V lui donna le baptême chrétien ainsi qu’à la colonne Antonine, en faisant placer au faîte de ces deux monumens les statues de saint Pierre et de saint Paul ; nous possédons une médaille commémorative de cette restitution avec cette devise ingénieuse dans sa concision : exaltavit humiles ; il a relevé les humbles.

Nous n’insisterons pas davantage ici sur l’importance des sources épigraphiques et archéologiques ; nous aurons l’occasion d’en montrer les applications fécondes. Parmi les écrivains modernes qui ont entrepris de raconter l’histoire de Trajan, depuis Tillemont, le consciencieux compilateur de tous les documens connus de son temps (il est mort en 1698), aucun jusqu’à ce jour n’est entré dans la voie nouvelle que nous venons d’indiquer, deux exceptés : M. Des Vergers, notamment dans son Mémoire sur la chronologie de ce règne, et M. Duruy dans son quatrième volume de l’Histoire des Romains, publié depuis peu. L’exemple donné par cet écrivain mérite d’autant plus d’être cité, que son livre témoigne d’un très sensible progrès accompli dans cette œuvre de vulgarisation scientifique. Il a voulu connaître plus à fond l’histoire qu’il avait étudiée et enseignée toute sa vie ; il a résolument entrepris de se refaire une éducation dans un âge où l’on renonce d’ordinaire à acquérir. Il a demandé à l’épigraphie même des secours que les textes classiques lui refusaient, et, malgré les réserves qu’il importe de faire encore, il nous a donné dans son quatrième volume la première histoire élémentaire que nous possédions sur les Antonins.