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c’est-à-dire frappées sous la république, soit des pièces impériales, car les revers des unes études autres consacraient le plus souvent des souvenirs historiques. Pour ne parler ici que de la série relative au règne de Trajan, M. Cohen n’a pas réuni moins de 548 frappes différentes concernant cet empereur ; encore faut-il ajouter à ce nombre les quelques centaines de types fournis par les colonies, les provinces et les villes grecques. Or on peut suivre chronologiquement les principaux événemens accomplis entre les années 98 et 117 sur ces petits monumens contemporains qui sont comme les témoins irrécusables et les fastes portatifs de ce règne. Ils nous donnent en effet les titres successifs portés par cet empereur, ses consulats, ses puissances tribunitiennes qui sont les dates annuelles de son principat, ses salutations impériales, qui en rappellent les expéditions et les victoires ; mais ce n’est pas tout : ces monnaies nous représentent souvent, à l’aide de petits tableaux aux reliefs expressifs et nets, les principales circonstances de sa vie publique et privée dont elles résument d’un trait et d’un mot les faits les plus saillants. Nous voyons par exemple sur une de ces pièces la figure de Rome personnifiée, assise, étendant la main vers une autre figure qui représente la Dacie fléchissant le genou : l’empereur est debout, revêtu du manteau militaire ; sur une autre, l’image d’un fleuve, peut-être le Danube, tenant un roseau d’une main, serre à la gorge la Dacie renversée. Il est facile de découvrir dans ces deux petits cadres circulaires d’ingénieuses allusions : 1° à la première guerre contre les Daces, à la clémence de Rome et de Trajan, qui acceptèrent d’abord la feinte soumission de Décebale ; 2° à la conquête définitive et inexorable qui suivit la seconde guerre pendant laquelle le fleuve, devenu l’auxiliaire utile des légions, se fit, pour ainsi parler, le complice de leur victoire et du châtiment infligé à l’ennemi ; nous savons en effet par un passage de Pline et par les Bas-reliefs de la colonne Trajane que des eaux détournées à l’improviste de leur cours naturel inondèrent les campagnes de ce pays et submergèrent ses défenseurs. Une autre pièce encore, nous montrant l’Arabie, caractérisée par la présence du chameau, rappelle indubitablement la conquête de cette contrée, réduite en province romaine par le légat impérial de Syrie, Cornélius Palma. D’autres enfin représentent sous les traits d’une femme couchée et tenant une roue à la main la voie Appienne prolongée sous le nom de Via trajana, ou bien figurent la façade de la basilique Ulpienne avec le nouveau forum achevé sous le règne de cet empereur. Les monnaies étaient donc quelque chose de plus que le signe légal de l’échange commercial : elles avaient aussi leur côté instructif et constituaient de véritables petits tableaux