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les déserts de l’Afrique, la classe des hommes libres ne comptait plus que des Romains ou des peuples aspirant à le devenir. Tous ces pays gardaient cependant leurs cultes, leurs langues, leurs vieux souvenirs ; l’a nationalité avait disparu, les grandes ligues politiques qui avaient réuni la Gaule à la voix de Vercingétorix, l’Espagne à la voix de Viriathe : , la Grèce à la voix de Persée, étaient depuis longtemps devenues impossibles ; mais, si l’ancienne patrie était détruite, elle avait fait place sous la loi romaine à la patrie nouvelle, à la cité. Tout fut fait désormais pour elle et par elle ; la vie se retira en elle ; seule elle fut protégée, encouragée, développée. Les maîtres du monde, n’ayant plus à redouter les ententes communes et les accords menaçans d’autrefois, achevèrent l’œuvre de la conquête par la concession la plus large qui fut jamais des libertés publiques, à la seule condition qu’elles ne s’exerçassent que dans les étroites limites de la patrie municipale. Dans un temps où Rome n’avait plus de comices, toutes les cités de l’empire eurent les leurs. La vie y était douce et facile. Comment s’étonner dès lors que ce patriotisme étroit et vivace de la cité ait survécu à l’empire, à Rome elle-même qui l’avait créé, qu’il ait résisté à l’invasion barbare et aux dominations qu’elle a fait naître, et que l’on reconnaisse jusque dans les communes du moyen âge, d’où l’émancipation moderne a pris son essor, le développement de ce germe impérissable et fécond de liberté déposé depuis des siècles dans le sein des municipes et des colonies ?

Avant d’ébaucher la restitution du règne de Trajan, il nous reste à dire pourquoi nous l’avons choisi entre tous pour éprouver la valeur de la science nouvelle et faire mieux comprendre toute l’étendue du service qu’elle est appelée à rendre à l’histoire romaine. Trajan n’a pas eu d’historien dont les récits soient arrivés jusqu’à nous. Et cependant Tacite, Suétone et Plutarque ont vécu sous son règne, mais les écrits qui nous restent du premier s’arrêtent à Vespasien, et sa vie d’Agricola ne forme qu’un épisode du règne de Domitien ; le second s’arrête à l’avènement de Nerva, et les dernières biographies du troisième sont celles de Galba et d’Othon. D’autre part, l’Histoire-Auguste commence avec Hadrien. Cependant quatre auteurs, Fabius Marcellinus, Marius Maximus, Statius Valens et Aurelius Verus, avaient raconté les événemens compris dans le règne de Trajan, mais leurs ouvrages sont perdus ; il en est de même de la portion des œuvres d’Ammien Marcellin où figurait, au rapport de Lampride, le récit des faits qui inaugurent l’ère des Antonins ; enfin les dix-sept livres de l’Histoire des Parthes d’Arrien ont eu le même sort. L’antiquité ne nous a donc légué aucune histoire suivie de ce règne ; si l’on parvient à reconstituer les élémens