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adversaires ; étant seul compétent, il n’a point de peine à être omnipotent. L’archéologue essaierait en vain de prendre sous sa protection au nom de l’antiquité des bâtimens condamnés par l’architecte au nom de la solidité. Dans tous les édifices, dans une église d’un usage journalier surtout ; cette question prime toutes les autres, et la première chose est de prévenir un péril public. Que répondre à un homme du métier déclarant après examen que telle voûte est suspecte, que telle muraille va tomber ? Lorsqu’un pareil verdict est prononcé sur un édifice, la panique saisit facilement les plus braves défenseurs. Il y a bien dans les bâtimens qui menacent ruine quelques symptômes extérieurs, des lézardes et des crevasses aux voûtes, des déviations dans les murailles. Les profanes n’en ont pas moins mauvaise grâce à vouloir s’autoriser contre les hommes de l’art de la présence ou de l’absence de tels accidens, ils sont naturellement accueillis par une fin de non-recevoir. En pareille matière, l’architecte seul est souverain juge ; or c’est précisément sur ce point où il est le plus difficilement contrôlé qu’il a plus besoin de l’être. À l’homme du métier, il faut opposer des gens du métier, aux études et aux rapports des architectes attachés aux cathédrales les enquêtes et l’examen d’architectes ou d’ingénieurs étrangers à cette administration. Plus d’une fois on a vu condamner solennellement des édifices qui n’en ont pas moins vécu, et l’événement a montré qu’en dépit de la précision des sciences de construction, les architectes ne sont pas toujours plus infaillibles que les médecins. Pour ne pas sortir de la Normandie, on a vu, il y a quelques années, la tour centrale de la cathédrale de Bayeux, une tour du commencement du XVIe siècle, unique en France et peut-être en Europe, menacée de destruction, et la destruction commencée au nom de la préservation de l’édifice. La ville et le diocèse, les autorités civile et ecclésiastique, eurent beau se révolter, les plaintes furent inutiles, et l’ordre de destruction impitoyablement exécuté. Pour l’arrêter, il fallut une intervention du chef de l’état, et la tour condamnée par les architectes diocésains fut relevée et consolidée par un ingénieur sorti de l’École centrale.

il serait puéril de notre part de discuter si les cathédrales récemment reconstruites ou restaurées, Sens, Clermont, Moulins, Séez, etc., si la cathédrale d’Évreux en particulier, étaient réellement dans un état qui exigeât le recours à une telle mesure, nous regrettons seulement que le fait n’ait pas été établi par des enquêtes plus sévères, nous regrettons qu’à Evreux l’œuvre de démolition n’ait pas attendu l’arrivée des commissaires envoyés par le gouvernement. L’écartement des murs supérieurs de la nef était fort ancien et n’avait pas sensiblement augmenté depuis le commencement du XVIe siècle. À cette époque, les contre-forts avaient reçu un