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Chaque jour de retard dérobe à nos enfans une part de l’héritage de nos ancêtres.

Liés entre eux par la position et les intérêts, souvent par des relations d’étude et d’école, les inspecteurs-généraux et les architectes diocésains forment un véritable corps, ayant son esprit propre, ses maximes, ses habitudes, et ne souffrant pas volontiers l’ingérence et l’intrusion d’aucun étranger. À l’autorité de la science et d’une compétence spéciale, à la puissance jalouse d’une corporation dont tous les membres se soutiennent les uns les autres, se joint l’appui des bureaux ministériels, la force omnipotente d’une administration contre laquelle il n’y a point de recours et qui jamais ne consent à revenir sur ses décisions. Avec une telle organisation, avec une pareille puissance arbitraire d’hommes portés à reconstruire et à innover par goût et par métier, on ne saurait comprendre ce qu’il faut parfois d’efforts pour sauver nos églises. Chaque année, deux ou trois de nos cathédrales sont vouées à une périlleuse rénovation, il ne faudrait peut-être pas plus d’un demi-siècle pour que toutes y aient passé. Nous pourrions citer telle ou telle cathédrale qui n’a dû le salut qu’à l’énergie de son évêque. Là où l’autorité diocésaine est moins courageuse ou moins éclairée, là surtout où le clergé et le public ont le goût des changemens et des travaux, le goût du neuf et des murailles blanches, le danger est difficile à conjurer. Une fois la reconstruction décidée par le comité des inspecteurs-généraux, l’affaire est malaisée, impossible même à arrêter. Toute réclamation, tout appel échoue contre le dédain des architectes diocésains et la force d’inertie des bureaux ministériels. La cathédrale d’Évreux en a récemment offert un singulier exemple. Après bien des efforts, on était arrivé à obtenir du ministre des cultes un sursis et la nomination d’une nouvelle commission d’enquête. À Evreux, comme souvent ailleurs, l’administration et les bureaux ont été plus forts que le ministre. Avant que les ordres ministériels eussent été officiellement transmis, les parties de l’édifice en cause, les contre-forts et la voûte de la nef étaient rapidement abattus, et la démolition précédait l’enquête destinée à établir s’il y avait lieu à démolir. Ceci se passait au mois d’août 1874. De tels faits ne sont peut-être pas assez rares pour exciter beaucoup d’étonnement ; ils méritent cependant d’être connus avant qu’on puisse espérer de les voir prévenus.

À Évreux, comme dans la plupart des cas, c’est une question de solidité, une question de construction qui a été mise en avant pour déterminer la démolition de la cathédrale actuelle et la réfection de l’édifice sur un plan nouveau. C’est une chose délicate que de décider quand une église a besoin d’être reconstruite à neuf. Sur ce terrain, l’architecte, l’homme de l’art, a facilement raison de ses