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l’édifice original, ou, comme l’on dit vulgairement, dans le style de l’époque. Nous aurions du reste mauvaise grâce à faire autrement, puisque notre temps n’a pas d’architecture qui lui soit propre à l’exclusion des autres. Restaurer une église ou un château dans le style du temps, c’est là un mot admirable pour la foule ; c’est même une chose excellente pour le goût ou l’œil d’un amateur ; pour l’histoire et l’archéologie, c’est une bien pauvre garantie. Avec cette belle formule, on pourrait se permettre toutes les altérations, tous les caprices imaginables, on pourrait refaire un monument sans en rien laisser subsister. Le peintre qui retouche un tableau, le sculpteur qui répare un marbre, prétendent bien aussi le restaurer dans le style de l’époque ou de l’école ; cela en vaut-il davantage l’original ? Pour la science et la critique, nos reconstructions arbitraires n’ont pas plus de valeur, A certains égards, nos postiches archéologiques sont même plus dangereux et plus regrettables que les restaurations hybrides des siècles passés : ces dernières, exécutées dans un goût franchement différent, avaient au moins le mérite de se dénoncer elles-mêmes ; elles n’exposaient pas à de fâcheuses méprises. Avec nos savantes et frauduleuses altérations, nous au contraire préparons à l’avenir de singulières erreurs. Les archéologues futurs nous devront là une assez ingrate besogne ; dans nombre des édifices que nous avons restaurés, ils ne sauront à quoi se fier, et il est douteux qu’ils nous soient très reconnaissans de leur avoir rendu si difficile et si équivoque la connaissance des monumens originaux.

Que font nos architectes quand, sous prétexte de les remettre en état, ils corrigent et modifient nos anciennes cathédrales ? Ils n’ont le choix qu’entre deux méthodes : suivre leurs propres conceptions ou reproduire les parties similaires d’édifices du même temps, et dans l’un comme dans l’autre cas ils imitent à leur insu les procédés des restaurateurs de la statuaire antique au XVIe ou au XVIIe siècle. Si les modifications sont de l’invention des architectes, elles portent forcément l’empreinte du goût, de l’éducation et par suite de l’époque des reconstructeurs ; c’est l’histoire de tant de marbres antiques achevés ou rajeunis, et ainsi naïvement défigurés par un ciseau moderne. Dans les statues au moins, quand par hasard on a retrouvé les parties anciennes, on a d’ordinaire eu soin de les leur rendre. On connaît l’aventure de l’Hercule Farnèse : un sculpteur de la renaissance, Guillaume della Porta, lui avait fait des jambes que l’on trouvait si belles que, lorsqu’on découvrit les jambes originales, on hésita d’abord à les leur substituer. N’est-ce pas ainsi qu’agissent nos architectes avec les monumens qu’ils redressent et améliorent à leur guise ? Comme il convient de remettre les statues