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faites avec le vote par arrondissement. Si la république est acceptée enfin par le vrai parti conservateur, au nom même de la conservation sociale, beaucoup de notabilités locales devront peut-être leur élection à ce mode électoral, gens sans passions politiques, qui n’ont d’attache avec aucun parti, qui aiment surtout leur pays et n’ont aucun goût pour les révolutions, quel qu’en soit le drapeau. Ceux-là, quoi qu’on en dise, ne reviendraient à l’empire qu’avec regret et devant la sombre perspective d’une grande crise sociale. Maires, conseillers-généraux, conseillers d’arrondissement, députés même sous l’empire, ils n’ont ni engouement pour le passé, ni répugnance pour le présent. Pour les retenir sous le drapeau de la république, tout gouvernement républicain n’aura autre chose à faire que de respecter les droits et les intérêts auxquels nul gouvernement digne de ce nom ne peut être hostile ou indifférent. Et ce que nous disons de cette classe de conservateurs s’applique également à toutes les autres dans ce pays que la fièvre politique n’agite pas autant que le voudraient les partis, et qui au contraire paraît avoir gagné, si l’on peut se servir de ce mot, au spectacle de ses misères, un esprit de résignation, un besoin de repos peu rassurant pour les amis des gouvernemens libres. Il n’y a pas à en douter, cet esprit-là se manifestera dans les prochaines élections, si elles se font dans de bonnes conditions pour le parti conservateur, c’est-à-dire sous un gouvernement constitué et organisé de façon à ne pas laisser l’imagination des électeurs s’égarer dans les vagues régions de l’inconnu.

Une autre raison encore arrête des conservateurs décidés dans toutes les fractions de l’assemblée, raison d’honneur et de dignité. Avec le vote par arrondissement, la corruption par l’argent n’est-elle pas plus à redouter qu’avec le scrutin de liste ? On ne peut guère, si riche qu’on soit, acheter assez d’électeurs d’un département pour que ces largesses influent d’une manière sensible sur le résultat de l’élection. On peut acheter assez d’électeurs d’un arrondissement et surtout d’une circonscription électorale pour décider le succès du candidat pour lequel on a semé l’or ou les dons quelconques. Cela est vrai ; mais ce scandale sera toujours exceptionnel dans un pays qui a encore le sentiment de l’honneur, et qui prend feu volontiers quand la grande voix de la presse dénonce de telles manœuvres. On l’a vu dans quelques élections faites sous l’empire, et encore c’étaient parfois des candidats de l’opposition qui ne pouvaient triompher autrement des candidatures officielles. Et avec l’indignation du pays, compte-t-on pour rien la sévère justice des tribunaux et de l’assemblée, qui valide ou annule les élections ? Nous savons sous quels prétextes, sous quels noms, sous quelles apparences se cache la main qui corrompt l’électeur ; mais, quand le