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Il y a le revers de la médaille, en France particulièrement. Qu’y trouve-t-on en effet ? Une démocratie peu politique, fort inégalement éclairée, tour à tour le jouet des passions ou des ambitions de partie. Un vote politique raisonné et réfléchi, il ne faut pas l’attendre de longtemps du peuple des villes et du peuple des campagnes. Alors un vote d’estime et de confiance personnelle motivé par la notoriété du candidat ne vaut-il pas mieux qu’un vote politique, si l’on veut, mais aveugle, et presque toujours émis sur un mot d’ordre ? Ne vaut-il pas mieux que l’ouvrier et le paysan votent sous l’influence de notables qu’ils connaissent, pour telle notabilité dont ils entendent sans cesse parler, que sous la pression de comités parfois anonymes, qui ont plus d’ardeur et d’activité que de légitime autorité ? On nous dit que c’est là le véritable jeu des institutions démocratiques, que ces comités représentent la majorité des électeurs, dont ils ne sont que les délégués. On ajoute que ces comités se proclament en pleine réunion électorale. On ne parle, en soutenant la thèse du scrutin de liste, que du beau spectacle d’élections vraiment démocratiques, se faisant au grand jour de la publicité, avec la liberté des journaux et des réunions publiques, à l’éclat de toutes les lumières, au bruit de toutes les discussions, au milieu d’un peuple qui écoute, s’instruit, juge et décide en pleine connaissance de cause. Nous pourrions renvoyer ces enthousiastes, dont beaucoup sont sincères, aux élections de Paris, de Lyon, de Marseille, de presque toutes les grandes villes, et même de toutes les localités où fonctionne l’organisation radicale du suffrage universel. A Paris, les partisans républicains de la candidature de M. de Rémusat étaient couverts de huées dans nombre de réunions quand ils voulaient y faire entendre la voix de la raisos et de la sagesse. La vérité est que dans les villes le suffrage universel fonctionne avec une aveugle et inflexible discipline, sur une consigne donnée par les chefs et acceptée des soldats sans objections ni réflexions, que dans les campagnes au contraire c’est non plus une armée qu’on fait marcher, mais un troupeau que l’on pousse au scrutin, masse passive, étrangère et même indifférente aux questions qui nous agitent et nous divisent. Le peuple des campagnes veut la sécurité comme il a voulu la paix, à tout prix. En grande majorité, il ne demande qu’à vivre et à travailler pour vivre ou augmenter sa petite aisance. En forte minorité, sinon en majorité, le peuple des villes, souffrant et mécontent de sa gêne ou de sa misère, que le vice augmente souvent et dont un travail obstiné ne parvient pas toujours à le tirer, veut la révolution à tout prix, par la liberté, par le despotisme, par le radicalisme, et même par le communisme qu’il comprend mal, par le bonapartisme aussi, qui en fait sa dupe. Voilà la matière électorale dans ce pays et en ce moment. Entre les mains