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projet du gouvernement dont M. Thiers était le président et M. Dufaure le ministre. Elle conservait la condition de domicile en prolongeant la durée d’un an. Elle maintenait le registre d’inscription institué, par une heureuse innovation de la loi Dufaure, pour prévenir les abus et fraudes des listes électorales. Avec l’assentiment de M. Dufaure et de la minorité, elle élevait à vingt-cinq ans l’âge de l’électorat politique. En outre elle soumettait la preuve du domicile politique à un système de précautions plus rigoureux et plus compliqué que ne l’avait fait la loi Dufaure, laquelle se contentait des preuves du droit commun. Enfin, et ceci lui était tout à fait propre, elle imaginait certaines conditions d’éligibilité. Le vote de la loi électorale municipale ne permettant pas à la commission d’espérer l’adoption entière de son projet tel qu’elle l’avait présenté d’abord, elle en revint à peu près à la loi Dufaure, sauf en ce qui concerne la preuve du domicile. En abandonnant les vingt-cinq ans d’âge et les trois ans de domicile, elle a rendu acceptable son projet de loi, sauf quelques changemens de moindre importance, et nous ne serions pas surpris que ce projet n’obtînt une assez forte majorité malgré la division des partis qui en a fait avorter tant d’autres.

Que faut-il penser des dispositions anciennes et nouvelles de la loi soumise aux prochaines délibérations de l’assemblée ? Si l’on en croyait certains sectateurs du dogme du suffrage universel, ni cette assemblée ni toute autre n’aurait le droit de toucher, même du bout du doigt, à l’arche sainte. D’abord, selon eux, ce n’est pas aux élus de ce suffrage, tel qu’il existe maintenant, qu’il appartient de le réformer en quoi que ce soit. Si quelqu’un peut faire cette œuvre, c’est le suffrage universel lui-même par un vote direct ou par un mandat confié à ses délégués. Et encore a-t-il bien le droit de se mutiler ? Pour les électeurs actuels, n’est-ce pas un acte de suprême déraison, équivalant à une sorte de suicide, que de s’enlever à eux-mêmes en tout ou en partie un droit inhérent au caractère de citoyen ? Pour les électeurs futurs, c’est une flagrante usurpation de pouvoir qui les dépouille d’avance de leur souveraineté. Les principes ne souffrent donc aucune modification au droit absolu, imprescriptible, inaliénable, du peuple souverain, et en faisant la loi dont sa commission lui présente le projet, l’assemblée commet un attentât à la souveraineté nationale. En stricte logique démocratique, elle ne peut rien changer à la loi électorale qui nous régit, ni quant à l’âge, ni quant au domicile, ni quant aux incapacités, ni quant aux conditions d’éligibilité. S’il y a, dans la simple réglementation du suffrage universel, quelques réformes à faire pour la dignité, la moralité de l’institution, c’est à une autre assemblée ayant un mandat formel qu’il faut renvoyer cette tâche.

Nous comprenons autrement la grande question de la réforme