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il existe une constitution qui partage la souveraineté entre deux ou plusieurs pouvoirs, il est clair qu’aucun de ces pouvoirs, chambre haute, chambre basse, roi ou président, ne peut changer la constitution ou en faire une nouvelle sans s’entendre avec les autres pouvoirs. Or ce n’est point le cas de l’assemblée actuelle, qui est unique, souveraine, sans constitution, sans mandat précis d’en faire une, mais aussi sans mandat formel de réserver cette tâche à une autre assemblée. Elle peut donc faire les lois constitutionnelles, si elle le veut. Le parti républicain, dont une fraction tout au moins lui dénie ce droit, n’a pas paru plus que les autres se souvenir de la vieille théorie des assemblées constituantes, législatives et autres, quand il l’a invitée à plusieurs reprises à proclamer la république. Et si quelques esprits subtils font remarquer que l’assemblée peut fort bien, sans faire acte de pouvoir constituant, reconnaître simplement un gouvernement qui existe déjà, il ne manque pas de partisans de la monarchie qui leur répondent que le gouvernement du 4 septembre n’était rien moins qu’un pouvoir constituant, et que par conséquent la question reste d’autant plus entière pour le droit de l’assemblée qu’elle a toujours été formellement réservée dans les discussions parlementaires.

L’assemblée fera-t-elle ces lois, et comment les fera-t-elle ? Voilà toute la question pour les esprits plus préoccupés des nécessités pratiques que des difficultés de théorie. Elle a toujours dit vouloir les faire, après comme avant la chute de M. Thiers, et nous n’avons aucun doute sur sa sincérité. Elle a même commencé l’œuvre en confiant l’élaboration de ces lois à une grande commission dont nous avons l’honneur de faire partie. Il n’appartient à personne, et moins encore à ceux qui ont vu cette commission à la tâche, de supposer que ses lenteurs cachaient un dessein prémédité d’enterrer la question du moment dans des études d’érudition constitutionnelle. Non, il faut lui rendre justice, tout en prenant son temps, elle n’a pas perdu un jour dans son consciencieux et persévérant travail. Elle a enfin terminé sa tâche en déposant sur le bureau de l’assemblée deux projets de lois, l’un sur l’élection de la première chambre, l’autre sur la constitution d’une seconde chambre. Ces projets sont-ils de nature à satisfaire les conservateurs libéraux qui les attendaient avec une impatience mêlée d’une certaine inquiétude ? C’est ce que nous allons examiner, non pas avec un luxe inutile d’érudition, puisque tout a été dit sur les constitutions présentes et passées, mais avec la vive préoccupation des besoins du pays et des nécessités parlementaires.

On sait comment et sous quelle impression fut élue la nouvelle commission des trente. La majorité était encore dans toute l’ardeur de la lutte qui avait abouti à la chute de M. Thiers et à la prorogation