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que son devoir, comme son honneur, est de ne rentrer dans la retraite qu’après avoir créé les institutions nécessaires pour assurer l’indépendance, l’ordre et la liberté du pays, nous ne lui en faisons pas un crime. Nous comprenons donc qu’elle ne se soit point laissé arrêter dans cette grave mission par des scrupules de légalité constitutionnelle, et si nous avons un reproche à lui faire, c’est d’avoir tant tardé à user de ce pouvoir constituant, qu’elle semble tenir plus à montrer qu’à exercer. Quant à la distinction des assemblées extraordinaires et ordinaires, constituantes, législatives, conventionnelles ou purement administratives, elle se comprend fort bien, s’il s’agit de définir l’œuvre faite ou à faire de ces assemblées ; s’il s’agit de marquer les limites de leur droit, elle nous semble bien difficile à appliquer.

Toute assemblée unique est souveraine. Quand on nous dit que sa souveraineté est toute de délégation, et que le vrai, l’unique souverain est le pays qui l’a élue, nous ne pouvons le contester. Si l’on ajoute que, même en déléguant ses pouvoirs, le pays conserve encore tous ses droits de souverain et qu’il peut toujours les faire valoir, nous sommes encore de cet avis. Où nous ne pouvons plus nous entendre avec une certaine école de démocratie, c’est sur la question du mandat impératif. Le suffrage universel, comme le suffrage restreint et encore plus, n’a qu’une manière d’exercer son droit de souverain, l’élection. Cet exercice porte sur les personnes et jamais sur les questions ; autrement on tombe dans l’absurdité du gouvernement plus ou moins direct du peuple. Nous disons l’absurdité, malgré l’exemple des petites démocraties éclairées et politiques de l’antiquité et des temps modernes, en songeant aux grandes et ignorantes démocraties comme la nôtre. Assurément il est tout simple que l’électeur ou le groupe d’électeurs connaisse le programme politique du candidat, qu’il sache s’il a affaire à un monarchiste ou à un républicain, à un libéral ou à un autoritaire, à un partisan ou à un adversaire de la décentralisation. Sur les questions de principe, il ne peut y avoir ni doute ni équivoque ; mais du moment qu’il s’agit de conduite politique à tenir, de mesure de salut public à prendre sous l’empire de telle ou telle situation, le vrai souverain, n’en étant pas juge, ne peut faire autre chose que de déléguer ses pouvoirs de toute espèce à l’élu qui peut seul les exercer, parce que seul il est juge des nécessités de la situation. La distinction des assemblées constituantes et non constituantes n’a de sens et de valeur que lorsqu’on l’applique aux gouvernemens composés de deux chambres, avec ou sans pouvoir exécutif. Toute assemblée unique est souveraine en matière de constitution, si cette œuvre est à faire, et même en matière de révision, si la constitution est faite. Dans le cas au contraire où