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justification du parlement. Quoi qu’on en ait dit, une assemblée ne doit point être simplement l’image photographiée du suffrage universel. Une pareille théorie mène tout droit au mandat impératif et au gouvernement plus ou moins direct du peuple. Pourquoi le suffrage universel élit-il des députés ? Est-ce uniquement pour le représenter dans tous ses instincts bons ou mauvais, dans toutes ses passions généreuses ou brutales, dans toutes ses aspirations légitimes ou insensées ? Nul ne le soutiendra. C’est pour le représenter dans ses meilleurs instincts, dans ses vrais intérêts, et surtout pour le diriger en ce sens. Si donc le pays est divisé en partis qui ne songent qu’à guerroyer, il semble que la sagesse et le patriotisme de ses élus aient mieux à faire que de transporter ce désolant spectacle dans le sein de l’assemblée. Tous les sincères amis du suffrage universel le comprennent ainsi quand ils le déclarent apte à voter sur les personnes et nullement sur les questions. C’est qu’en votant sur les personnes seulement il entend réserver à ses élus le droit et le devoir de trancher eux-mêmes, selon leur conscience et leur raison, les questions qui se débattent dans le parlement.

Si l’assemblée nationale semble aujourd’hui trop oublier le pays dans ses passions et ses intrigues de parti, tous les esprits impartiaux lui rendront cette justice qu’à son début c’est le pays qui était l’unique objet de ses préoccupations, que maintenant encore, sur toutes les questions purement nationales, la division et la lutte font place à l’entente et au concours, et qu’une majorité imposante n’a jamais manqué aux lois et aux mesures que le salut public commandait impérieusement. A Bordeaux, l’assemblée a tout d’abord compris que, si elle ne faisait taire les passions de parti et les intérêts de classe devant l’intérêt suprême du pays, tout était perdu. Elle a donc laissé là les questions politiques proprement dites pour ne s’occuper que des questions vraiment nationales et sociales. Telle fut la signification et la portée de ce pacte de Bordeaux, si bien nommé la trêve de Dieu, proposé par le patriotisme de M. Thiers, accepté par la sagesse du parlement, pratiqué de concert pour le plus grand bien du pays : heureux temps, si l’on peut appliquer ce mot à une situation douloureuse après la guerre, terrible pendant la commune, mais dont le concours de tous les partis honnêtes a vaincu les difficultés ! C’est ainsi que l’assemblée et le gouvernement purent faire cette paix nécessaire, qu’il était plus facile de maudire que d’éviter, ces lois sur le service obligatoire, sur la réorganisation de l’armée et sur les impôts, que nous eussions mieux faites tout d’abord, quand nous étions encore sous l’impression de nos désastres et dans le moment des grands sacrifices. Plus tard, hélas ! les partis se sont trop souciés de leurs convenances et les classes de