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où la France la louée tient la tête de l’Occident, puis par celle des grandes luttes de la royauté et de la féodalité, où les communes, c’est-à-dire le vieux fonds national indigène, élèvent à la fois leurs cathédrales gothiques, leurs beffrois et leurs franchises, puis par la période des guerres anglaises terminées par l’apparition de la Velléda française, Jeanne la bonne Lorraine, par la renaissance avec François Ier, l’avènement de la tolérance avec Henri IV, le grand siècle littéraire, celui de la révolution philosophique et politique, — pour arriver enfin au nôtre, qui, hélas ! ne fait pas si belle figure, et qui aura pourtant aussi sa valeur et ses gloires, ne fût-ce que la gloire d’avoir tenu tête à des malheurs inouïs sans jamais perdre l’espérance, — quelle riche mine et quel autre pays pourrait offrir une pareille série de galeries historiques !

Recommandons bien à notre futur romancier d’être sévère vis-à-vis de lui-même et de l’érudition historique. Celle-ci doit être puisée aux meilleures sources. Il ne faudrait pas recommencer le volumineux roman de geste que compilait naguère le plus fécond, le plus amusant et le plus frivole des conteurs. Avouons-le, nous les avons tous lus, ces récits qui débordaient de verve et d’esprit, qui prétendaient naïvement nous apprendre l’histoire de France ; mais les relirons-nous ? et les donnerons-nous à lire ? Chez nous, l’art de faire un roman qui intéresse est plus répandu que partout ailleurs ; celui qui consiste à faire un roman vraiment bon est plus rare. Ailleurs on ne sait pas aussi bien que chez nous dramatiser les situations, proportionner les incidens, faire jaillir les étincelles du choc des caractères, en un mot organiser et distribuer l’œuvre d’art. C’est qu’avant tout nous sommes artistes et dramatistes. Ce qui nous manque trop souvent, c’est l’étude morale approfondie, le sens de la vie réelle, et, s’il s’agit d’histoire, l’érudition sans parti-pris et bien renseignée. Rien pourtant ne nous empêcherait d’unir ces deux ordres d’avantages. On travaille avec ardeur à développer l’instruction générale ; mais les programmes s’étendent tellement qu’il faut absolument songer à simplifier les méthodes et à diminuer la somme de temps nécessaire à l’acquisition des connaissances utiles. Or il n’en est pas de plus impérieusement commandée par notre situation que celle de notre histoire nationale. Le roman populaire bien compris, bien écrit, français avant tout, où l’art et l’histoire se prêteraient un mutuel concours pour intéresser en instruisant, suppléerait à bien des lacunes, et c’est pourquoi nous terminons cette appréciation d’une œuvre allemande en émettant le vœu que nous fassions aussi bien et, s’il se peut, mieux en France.


ALBERT REVILLE.