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l’évêque a de bonnes intentions pour toi, mais aussi le nouveau comte frank te regrette, il a fait l’éloge de ton bras et dit qu’il n’aimerait pas à se passer de toi dans la prochaine campagne contre les Slaves. Sache, mon héros thuringien, que cet automne, après la moisson, il y aura une expédition contre les Wendes.

« Ingram releva la tête. — Ah ! voilà une bonne nouvelle, Walburge, lors même que je suis bien malheureux d’être exclu d’une si belle guerre. — Ecoute encore, poursuivit-elle, le grand-duc des Franks marche, dit-on, contre les Saxons et de toutes parts les guerriers s’apprêtent à de nouveaux, combats. — Tu me rends fou ; penses-tu que je survivrai à l’idée d’être banni loin de mes compagnons d’armes au moment où ils vont se couvrir de gloire ? — Je pense que tu dois combattre dans leurs rangs, et c’est aussi pour cela que je suis ici.

« Ingram étonné la regarda, un rayon d’espérance se glissa dans son âme. — Que peux-tu faire pour cela ? lui demanda-t-il. — Je n’en sais rien encore, répondit Walburge d’un ton décidé, néanmoins j’ai bon espoir pour toi. J’irai trouver le comte, et, s’il n’y peut rien, j’irai trouver le prince des Franks sur la terre étrangère, et je l’implorerai pour mon compatriote. J’irai, je supplierai, de cour en cour ; peut-être qu’ils me seront favorables, puisque ton épée leur fait besoin. — Fidèle amie ! dit Ingram ému. — Et pourtant, fou que tu es, tu veux m’en empêcher en refusant d’accepter mes offres. Comment une fille pourrait-elle parler pour toi devant les étrangers, si elle n’est pas ta fiancée ?

« Ingram leva la main. — Si je dois vivre, s’écria-t-il, et si je dois encore marcher le cœur libre à travers nos campagnes, alors je tâcherai de te prouver ma reconnaissance. — Walburge lui exposa son plan. Elle resterait quelque temps auprès de lui dans la solitude, puis elle retournerait dans sa métairie abandonnée pour y remettre tout en bon ordre. Elle tâcherait de lui procurer un abri où il pourrait attendre sa grâce. — Comment sortirons-nous de notre détresse, le bon Dieu seul le sait ; mais j’ai confiance en lui, et je le remercie de ce que je t’ai retrouvé dans les bois et éprouvé ton cœur. — Là-dessus elle baissa la tête et prononça un Pater. Ingram s’assit tranquille à ses côtés et écouta la prière qu’elle murmurait. Quand elle se rassit près de lui, les mains jointes et la bouche souriante, il lui prit doucement le bras et lui dit : — Viens, Walburge, viens où le soleil reluit. — La jeune fille se retourna de son côté. — Dis-moi, la cicatrice me rend-elle bien laide ? — Je ne la vois plus, répondit sérieusement Ingram. — Walburge soupira. — Peut-être t’y accoutumeras-tu ; mais arrête encore un peu. Tel que tu es, le soleil ne peut te voir ; il n’aime pas à percer des habits troués, et des cheveux en désordre ne vont pas à un fiancé. Passe