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recommande à notre attention par un mérite très particulier. M. Freytag en effet a l’intention de faire, sous la forme du roman, une histoire épisodique de l’Allemagne depuis les anciens temps jusqu’à nos jours. Les trois récits qui ouvrent la série intitulée par lui les Ancêtres (Die Ahnen) roulent sur les destinées d’une famille dont les origines remontent jusqu’au IVe siècle de notre ère, et même plus haut encore. Le premier nous décrit l’état de la Germanie centrale au temps où Julien était césar dans les Gaules ; le second nous le montre à l’époque de l’invasion du christianisme sous la direction de saint Boniface ; le troisième se passe au XIe siècle, en pleine féodalité. Cependant il s’agit toujours de la descendance d’Ingo le Vandale, établie depuis le IVe siècle dans le pays de Thuringe, ou du moins à proximité, et l’auteur nous annonce son plan de poursuivre l’histoire de cette famille jusqu’à son dernier rejeton, « un jeune compagnon, nous dit-il, qui se promène aujourd’hui au soleil de l’Allemagne sans beaucoup se préoccuper des actions ni des souffrances de ses prédécesseurs. » C’est la Thuringe, le pays des petits duchés et des grandes forêts, qu’il a choisie pour théâtre, et ce choix nous semble très judicieux.

La Thuringe est bien le cœur de la patrie germanique, il n’est pas en Allemagne de pays plus allemand. La division du territoire en principautés enclavées les unes dans les autres, la beauté romantique des sites montagneux, l’abondance des souvenirs historiques et des légendes, la Wartburg qui a vu les miracles de sainte Elisabeth, les tournois des Minnesingers, le séjour de Luther et son duel avec Satan, Erfurt, le grand marché de la Germanie au moyen âge, Iéna, la célèbre et savante université, Eisenach, le berceau des Bach, tout fait de ce pays une Allemagne concentrée où se sont épanouies les qualités essentielles de l’esprit allemand, la simplicité, la bonhomie des manières, la poésie rêveuse, l’aptitude musicale, la grande érudition, sans être gâtées, comme en Bavière, par le mélange avec des superstitions grossières ou, comme en Prusse, par cette raideur empesée qui finira, si elle vient à s’étendre sur l’Allemagne entière, par rendre le Teuton insupportable.

Quant au mérite littéraire des trois nouveaux romans, nous n’hésitons pas à dire qu’il nous paraît très grand, surtout celui des deux premiers. Le genre du roman historique soulève en lui-même des objections qui nous paraissent très fortes. Depuis l’époque où Walter Scott faisait les délices d’innombrables lecteurs, on en a tellement abusé qu’il est en quelque sorte démodé. Cependant les progrès de l’archéologie, la connaissance plus intime que nous possédons aujourd’hui de la vie, des idées, des croyances des générations disparues, ont pu jusqu’à un certain point le rajeunir. M. Freytag, il est vrai, se défend d’avoir voulu composer sous forme de roman une