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directeur de l’usine, après m’avoir fait les honneurs de son établissement, voulut bien continuer à me servir de cicérone et m’introduire chez son voisin. On ne peut pas reprocher au parsisme d’abuser de la mise en scène pour frapper l’imagination. Une sorte de chambre basse, tenant le milieu entre la cave et le cellier, sert de chapelle. Dans un coin est l’autel représenté par trois marches recouvertes d’un lambeau de tapis. Deux petites planches de cuivre de 20 à 25 centimètres carrés, où sont gravées des figures symboliques, sept ou huit petites pierres noirâtres, composent les objets du culte. Sur le mur blanchi à la chaux se détachent en rouge quelques dessins primitifs, qui semblent l’œuvre d’un écolier de huit ans à qui on aurait poussé le coude. De chaque côté de l’autel se dresse un petit robinet de cuivre, — qui n’est autre chose qu’un bec de gaz, — d’où jaillit la flamme éternelle.

Le prêtre est un Indien originaire de Lahore, récemment arrivé au Caucase. Sa figure, légèrement marquée de petite vérole, est d’une laideur expressive. Deux grands yeux qui brillent comme des charbons sous des sourcils en broussailles donnent à sa physionomie quelque chose de sauvage et lui ôtent toute vulgarité. Une belle barbe soigneusement entretenue descend sur sa poitrine ; de longs cheveux noirs tombent en cascade sur ses épaules, comme ceux du clergé orthodoxe. Deux de ses incisives sont enfermées dans un cercle d’or. Que signifie cette alliance de « l’art dentaire » et de la religion de Zoroastre ? est-ce un attribut sacerdotal ? Je ne me charge pas de résoudre le problème.

Au moment où nous entrâmes dans la chapelle, le guèbre portait pour tout costume un grand gilet de laine rouge et une calotte de même couleur, qui le faisaient ressembler à un maître nageur dans l’uniforme de ses fonctions. Il se hâta de revêtir une longue robe blanche, se débarrassa de son bonnet, et, se prosternant devant l’autel, commença à psalmodier du nez une sorte de litanie plaintive. De temps en temps il s’interrompait pour agiter à tour de bras une petite sonnette, puis le chant reprenait, traînant et monotone. Cette cérémonie dura cinq bonnes minutes, après quoi l’officiant se retourna vers nous et m’offrit gravement un morceau de sucre candi. Je fis honneur, comme il convenait, à ce singulier pain bénit, et, ne voulant pas être en reste de générosité avec Zoroastre, je mis un rouble dans la main de son disciple. Moyennant cette légère offrande, je pus pénétrer dans l’enceinte sacrée, tourner et retourner les objets du culte et me brûler les doigts tout à l’aise au feu éternel. On voit que la religion de Zoroastre n’en est plus à la période du fanatisme. Quand j’eus satisfait ma curiosité, l’Indien m’invita à le suivre dans une cour voisine qui sert d’annexe au temple des