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des groupes de l’assemblée, la question d’organisation constitutionnelle naît invinciblement de la nécessité des choses. Il s’agit de savoir si l’intérêt du pays parlera assez haut pour s’imposer, pour rallier une majorité suffisante à des combinaisons équitables et pratiques, ou si l’esprit de parti, obstiné jusqu’au bout, égoïste et aveugle, se fera un jeu de tenir une nation tout entière dans l’attente, au risque de conduire l’assemblée elle-même à l’abdication par l’impuissance. M. le général Changarnier recommandait il y a quatre mois à ses collègues, représentans de la France comme lui, de se donner le temps d’aller méditer sous les « frais ombrages » et consulter le pays, pour revenir avec des lumières et des forces nouvelles. Eh bien ! on a pu méditer à l’aise et consulter le pays. Avec quelles lumières et quelles résolutions nouvelles va-t-on se retrouver à Versailles ?

Ah ! sans doute, si on le voulait, si on y mettait un peu de zèle et de désintéressement patriotique, les difficultés n’auraient rien d’insoluble, elles ne seraient pas du moins au-dessus des bonnes volontés sincères rapprochées et confondues dans un sentiment supérieur de bien public. Quelle est après tout la situation ? Les affaires de la France ont cela de caractéristique, de singulier, qu’elles sont par elles-mêmes assez simples, douloureusement simples, si l’on veut, et qu’elles ne sont compliquées, dénaturées, compromises que par le déchaînement des partis acharnés dans leurs ambitions, implacables dans leurs calculs, dans leurs ressentimens et dans leurs défiances. Regardez le pays, puisque c’est de lui qu’il s’agit avant tout, regardez le pays : depuis quatre ans, on peut dire que c’est un modèle de patience et de raison. Épuisé de sacrifices dont il sent la nécessité, il subit tout sans trop se plaindre et sans trop murmurer ; il accepte les taxes qu’on vote quelquefois un peu à la légère, aussi bien que les nouvelles charges militaires qui s’imposent à son patriotisme. Tiraillé dans tous les sens, il résiste aux excitations par lesquelles on s’efforce de l’abuser et de le tromper. Livré à des incertitudes qui le fatiguent, qu’il ne comprend pas toujours, il se soutient et se défend par une sorte de vitalité intime, par le travail, par l’économie, par une certaine droiture naturelle et par la force de sa constitution sociale. Certes les embarras ne viennent point de ce pays paisible, laborieux et soumis, dont la passion la plus sérieuse aujourd’hui est de vivre tranquille en faisant ses affaires, qui ne demande qu’à être fixé, conduit et tout au moins sauvegardé de l’imprévu.

Le mal vient uniquement et exclusivement de l’esprit de faction et d’intrigue, de cette agitation des partis qui depuis quatre ans ne songent qu’à eux-mêmes, à leurs intérêts, à la réalisation de leurs espérances, sans tenir compte de ce qui est possible dans les conditions que les événemens ont créées à la France. Quand ce ne sont pas les légitimistes qui se démènent à la poursuite d’une ombre insaisissable, ce sont les bonapartistes qui cherchent à profiter du désarroi universel pour tenter de se