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l’escadre japonaise, commandée par des marins européens, partit du port de Nagasaki pour Formose. Elle se composait de trois grands bateaux à vapeur, d’une canonnière et d’une goélette de guerre. L’armée d’invasion, au nombre de 3,500 hommes, y fut en partie embarquée. Le général en chef, Saïgo Toto Kou, ne prit la mer à bord du Delta qu’après le départ du dernier soldat. Il se fit accompagner du Shaftesbury, transport affrété spécialement pour donner passage jusqu’à Formose à un grand nombre d’artisans indigènes, charpentiers et forgerons, chargés de construire les baraquemens.

Après deux journées de navigation prudente de Nagasaki à Amoy, et de ce port chinois à la pointe sud-ouest de Formose, les troupes débarquèrent dans la petite baie en forme de croissant, bordée de sable, et portant indistinctement les noms de Cheshon ou de Loong-kiaoi De là, elles gagnèrent, sans être inquiétées par l’ennemi, les hauteurs voisines et s’y installèrent d’une façon toute provisoire. C’était un spectacle pittoresque que celui de cette petite troupe d’hommes dressant ses tentes bariolées, allumant ses feux, aiguisant ses sabres aux lames brillantes et se préparant au combat avec un entrain fort semblable à celui des troupes françaises en pareille occasion. Il n’y a rien d’étonnant à cela ; le caractère : du soldat japonais est aussi enjoué que décidé ; puis la troupe a gardé encore auprès d’elle, en qualité d’instructeurs militaires, bon nombre d’officiers jeunes et entreprenans, nos compatriotes.

C’est le 22 mai, à la suite de plusieurs petites reconnaissances fatales à des espions de l’armée d’invasion, qu’eut lieu un premier engagement avec les sauvages. Le général en chef japonais Saïgo, après avoir fait avancer son camp jusque dans la vallée de Shiyou : , territoire des Boutans, dirigea une colonne volante de 200 hommes sur trois de leurs villages. A midi, les misérables habitations ennemies étaient occupées, puis livrées aux flammes. Enthousiasmés de ce coup d’essai, les soldats suivirent un ravin desséché et s’avancèrent jusqu’à Sekimon, forte position où l’ennemi s’était massé. Dès que les deux partis furent en présence, une lutte furieuse s’engagea. Les Japonais, combattant à découvert, montrèrent une bravoure peut-être un peu trop téméraire. Le combat dura deux heures. Les Boutans, contraints de se retirer, laissèrent entre les mains des vainqueurs douze morts ; leurs têtes furent détachées et transportées triomphalement au camp. Après qu’on les eut données en spectacle à l’armée pendant quelques minutes, le général Saïga ordonna l’enfouissement de ces sanglans trophées. Les Japonais eurent de leur côté quatorze tués et blessés, perte minime, si l’on considère la force de la position occupée par l’ennemi et la bravoure presque enfantine avec laquelle on l’aborda. Plusieurs des cadavres