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responsabilité ; le second devait naturellement ambitionner, si la question se terminait par des coups de canon, d’occuper dans l’armée japonaise une position militaire de premier ordre. Il n’est pas inutile de constater en passant l’influence qu’exercèrent deux étrangers sur le mikado et ses ministres pendant que s’agitait dans leur esprit la question d’une rupture possible avec le Céleste-Empire. Quoi qu’il en soit, son excellence Soyejima eut donc pour compagnon de voyage, dans sa mission à Pékin, le général américain, et c’est indubitablement M. Legendre qui sut inspirer à l’ambassadeur japonais le langage quelque peu hautain qui y fut tenu. Le gouvernement chinois ayant déclaré avec son laconisme habituel, par la bouche du prince Kung, qu’il n’avait point assez d’autorité au sud de Formose pour atteindre et punir ceux dont on réclamait le châtiment, Soyejima, fort irrité, revint à Yeddo en automne dernier. Le général Legendre l’y suivit, ne quitta pas la capitale de tout l’hiver, et nous savons qu’il y fit tout son possible pour que les menaces proférées à Pékin ne restassent pas lettre morte. La partie du territoire de l’île Formose qu’il fallait aborder pour y jeter des troupes, et où se tiennent les tribus des barbares indigènes, étant accessible de février à mai seulement, il était en effet urgent, si on voulait commencer les hostilités au printemps, de prendre au plus vite une attitude résolue.

L’année 1874 commençait à peine, lorsque des symptômes d’un futur soulèvement dans divers ken ou dans de l’intérieur furent signalés à Yeddo. Indice certain d’une prochaine révolution dans les provinces, 400 ou 500 agens de police quittèrent, sans bruit et déguisés, la capitale, pour aller se mettre, en leur qualité de vassaux fidèles, à la disposition des chefs ou seigneurs des dans révoltés. Le péril était grand, et on sentit à Yeddo la nécessité de le conjurer sans retard. Le ministre des affaires étrangères au Japon, son excellence Okoubo, plusieurs grands fonctionnaires du ministère de la justice, furent en toute hâte envoyés dans l’ouest de l’empire afin de comprimer, à l’aide d’un corps de troupes régulières, le mouvement insurrectionnel. Avant leur arrivée, les samouraï ou chefs des ken de Hizen et de Saga s’étaient déjà tumultueusement levés aux cris de « guerre à la Corée, rétablissement de la féodalité, mort aux Io-i (aux étrangers) ! » Les rebelles, au nombre de 2,500, avaient incendié le château de Saga, puis attaqué et mis en déroute dans un premier engagement les troupes impériales qui y tenaient garnison. A Yeddo, l’un des plus hauts fonctionnaires de l’empire avait été traîtreusement assailli et blessé grièvement par une bande de conspirateurs masqués.

Malgré la défection d’un grand nombre d’officiers et de soldats