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dette, paiement, impliquent une notion de justice, notion encore bien vague, bien confuse, notion élémentaire, mais qui n’existerait pas sans une loi antérieure et supérieure à la race humaine. N’importe ; il ne faut pas même laisser à nos adversaires cette apparence d’un argument tiré de l’histoire : l’histoire au contraire, ici comme partout, inflige à leurs doctrines un éclatant démenti. Ils disent que la compensation pécuniaire est la première forme sous laquelle apparaît ce qu’on appellera plus tard droit et justice ; rien de plus faux. La compensation pécuniaire, la rançon, le wergeld, toutes ces choses qui tiennent en effet une si grande place dans les législations primitives, ne sont pas du tout un point de départ, elles ne sont qu’un épisode amené par des circonstances particulières, épisode que l’enquête de M. Albert Du Boys a remis dans tout son jour.

Le premier volume de L’ouvrage, Histoire du droit criminel des peuples anciens, ainsi que les deux volumes qui suivent, Histoire du droit criminel des peuples européens, Histoire du droit criminel des peuples modernes, nous fournissent un nombre considérable de textes d’où il résulte qu’aux âges primitifs, dans les sociétés les plus rudimentaires, dès la première atteinte portée à un être humain par son semblable, l’idée de justice se manifeste aussitôt, étroitement liée à celle de châtiment. Un acte injuste a été commis ; celui qui a commis l’injustice mérite d’être châtié. Il y a donc des choses justes et des choses injustes, il y a donc une loi qu’il n’est pas permis de violer. L’humanité primitive a senti d’instinct que toute violence faite à l’un de ses membres était la violation d’une loi universelle. Elle avait même un instinct si vif de cette loi divine, elle la sentait si bien en elle, autour d’elle, au-dessus d’elle, elle la voyait partout si vigoureusement empreinte, que le premier châtiment infligé aux grands malfaiteurs est précisément de s’être mis eux-mêmes hors la loi. A lire ces documens des vieux âges, dans le monde barbare comme dans le monde antique, il semble que la conscience humaine ait dit : « Celui-ci a violé la loi, la loi ne le protège plus ; il a détruit ce qui devait le défendre ; il est condamné, il est maudit ; quiconque le trouvera sur son chemin pourra le tuer. » Ce sont les paroles de Caïn au quatrième chapitre de la Genèse : « Seigneur, vous me chassez de dessus la terre, je m’irai cacher de devant votre face, je serai fugitif et vagabond, quiconque me trouvera me tuera. » Voilà le premier des maudits, de ceux qui se sont mis eux-mêmes hors la loi. Voyez maintenant, bien des siècles plus tard, le recommencement des sociétés humaines après la décomposition du vieux monde. Dans l’Europe germanique et Scandinave, la loi populaire, écho de l’éternelle conscience, jettera aussi