Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— avait droit au tombeau du marin. Ses compagnons enfermèrent ses restes mortels dans un cercueil de plomb et les confièrent à l’océan. Ainsi finit à l’âge de cinquante et un ans un des plus vaillans hommes de mer qu’ait produits ce pays, qui devait se vanter un jour de « régner sur les flots. » On avait dit de Colomb qu’il était « avisé et beau parleur ; » Drake aussi avait la parole facile. De petite taille, mais bien proportionné, la tête ronde, la poitrine large, le teint coloré, l’air ouvert, les yeux grands et vifs, il était fait pour entraîner à sa suite ce peuple qui commençait à trouver sa ruche trop étroite.

Philippe II laissait ravager ses colonies ; il rassemblait sa flotte dans la baie de Cadix. Déjà se trouvaient réunis sur rade soixante-cinq gros vaisseaux de guerre, deux galéasses, un grand nombre de navires de transport, des frégates. C’était une nouvelle armada qui se préparait. La reine Elisabeth résolut cette fois d’aller au-devant du danger. Le grand-amiral d’Angleterre, lord Howard, partit de Plymouth le 13 juin 1596 avec cinquante-six vaisseaux de guerre ; cinquante vaisseaux de charge portaient les troupes et les munitions. Le jeune comte d’Essex, brillant, plein d’ardeur, commandait cette armée. La flotte espagnole était rangée en bataille dans le golfe. Les Anglais se jetèrent sur sa ligne d’embossage, et, par l’impétuosité de leur attaque, portèrent le désordre dans ses rangs. La confiance n’existait plus dans cette marine d’où la faveur céleste s’était retirée. Les vaisseaux se hâtaient de couper leurs câbles et s’allaient échouer sur les vases de Puerto-Real et de Santa-Maria. Howard ne put s’emparer que de deux galions ; il en brûla deux autres. Le dommage était peu de chose sans, doute, mais la ville n’était plus couverte par la flotte. Les Anglais l’assiégèrent et la prirent. Le comte d’Essex était d’avis qu’on gardât au moins le château. Il s’offrait à y demeurer avec 400 hommes ; l’amiral préféra livrer Cadix au pillage et démolir les forts. On ne respecta que les églises. Le 5 juillet 1596, la flotte anglaise quittait les côtes de l’Andalousie, ne laissant derrière elle que des décombres.

Les Espagnols étaient désormais hors d’état de tenir la mer. Un premier échec les avait affaiblis ; le second les terrassa. Philippe II venait de descendre dans la tombe, en 1598,quand une flotte anglaise pilla les Canaries et prit Porto-Rico. Sous son successeur, en 1602, un galion portant plus de 6 millions de francs fut enlevé à l’embouchure du Tage. La puissance, de l’Espagne n’effrayait plus personne ; ses richesses excitaient les convoitises de tout le monde.


JURIEN DE LA GRAVIÈRE.