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d’où pendaient les pavillons enlevés aux ennemis, accompagnée du parlement et des grands-officiers de la couronne ; se rendit en habit de cérémonie de son palais à l’église de Saint-Paul. Toutes les rues par où elle devait passer, étaient « tendues de drap bleu et bordées de bourgeoisie sous les armes. » Accourue à ce spectacle, la multitude acclamait la reine avec frénésie, et ne cessait de témoigner par ses cris de joie et de reconnaissance que c’était à elle seule que l’Angleterre sauvée voulait attribuer son bonheur.

Il était permis de triompher ; il eût été plus sage peut-être de songer à tirer parti de la victoire, car Philippe II n’était pas homme à se laisser abattre par un seul revers ; mais la reine Elisabeth tenait avant tout à ménager ses finances. Ses revenus ne s’élevaient guère au-dessus de 15 millions de francs, et elle avait à peine 4 millions de sujets. L’Angleterre se reposa six ans. Pendant ce temps, le roi d’Espagne reprenait peu à peu des forces. On apprit bientôt qu’il méditait une sérieuse revanche. Elisabeth ne pouvait différer plus longtemps d’aviser ; Drake proposa une expédition aux Antilles. C’était d’Amérique que venaient les trésors à l’aide desquels Philippe II équipait ses galions et soldait ses troupes ; c’était en Amérique qu’il fallait frapper. Drake et Hawkins s’associèrent ; la reine leur fournit six vaisseaux, ils en armèrent vingt et un à leurs frais et partirent de Plymouth au mois d’août de l’année 1595. La flotte emmenait 2,500 matelots et soldats.

On espérait surprendre au mouillage de Porto-Rico le galion du Mexique. Un des bâtimens de Hawkins se laissa par malheur capturer en route ; le projet des Anglais se trouva ainsi éventé. Hawkins en conçut un violent chagrin, et ce chagrin paraît avoir abrégé ses jours. Le 12 novembre 1595, au moment où la flotte arrivait devant Porto-Rico, le vieux corsaire rendait l’âme. Le trésor du Mexique avait échappé aux ennemis de l’Espagne ; restaient les richesses du Pérou. Drake n’avait pas oublié le chemin de ces ports, où, vingt-sept ans auparavant, conduit par Hawkins, il portait le pillage ; il se souvenait de Nombre de Dios, où les Espagnols en 1572 lui avaient fait un si rude accueil. Cette fois il était en force. Rio de la Hacha, La Rancheria ; Sainte-Marthe, Nombre de Dios, d’autres places encore furent réduites en cendres. Partout où il passait, il fallait rebâtir les villes. Toutes ces dévastations nuisaient plus à l’ennemi qu’elles ne profitaient au vainqueur. Drake voulut faire enlever la ville de Panama par un détachement de 750 hommes. Cette troupe se fondit dans l’isthme et ne réussit pas à le traverser. Ce fut le tour de Drake d’éprouver les cruels effets du désappointement. Une fièvre lente le saisit ; le 28 janvier 1596, il expirait à Porto-Bello. Ce héros, — car il fut à la fois un héros et un pirate,