Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier coup de main n’avait pas été heureux ; Drake voulut sur-le-champ prendre sa revanche. Rien ne dénote mieux l’homme de guerre qu’une pareille élasticité. Les plus vaillans officiers peuvent rester abattus sous un revers ou sous un naufrage ; ceux qui rebondissent, qui font succéder, comme Nelson, Aboukir à Ténériffe, sont faits d’un métal qui finit tôt ou tard par lasser les coups de la fortune. Ce serait du reste un triste aventurier celui qui se retirerait après la première aventure d’où il est sorti sans butin. Au temps de Drake, les corsaires ne comptaient ni leurs insuccès ni leurs blessures. Drake laissa ses bâtimens mouillés dans le golfe du Darien et partit, suivi d’une centaine d’hommes, pour aller intercepter dans les bois le trésor qui, de Panama, s’acheminait en ce moment vers Nombre de Dios. Arrivé, le douzième jour après son départ, au sommet de la cordillère, il gravit à son tour l’arbre du haut duquel Balboa, cinquante-neuf ans auparavant, avait découvert l’Océan-Pacifique. Le convoi annoncé se fit peu attendre. Drake l’assaillit et se trouva du coup en possession de plus d’argent que ses hommes n’en pouvaient emporter. Chargé de ces dépouilles, il les avait à peine mises en sûreté à son bord que trois cents soldats espagnols se présentèrent sur la plage. La fortune le seconda jusqu’au bout ; sa traversée de retour fut rapide. Vingt-trois jours après avoir quitté la Floride, il atteignait les Sorlingues. Déjà en 1525 deux caravelles espagnoles étaient revenues en vingt-cinq jours de Santo-Domingo à San-Lucar. Passer d’une rive de l’Atlantique à l’autre était devenu un jeu ; la grande navigation commençait au-delà du Cap de Bonne-Espérance.

Drake arrivait à Plymouth un dimanche ; le peuple quitta en masse le service divin pour courir au-devant du pirate qui rentrait à son aire après quatorze mois d’absence. Le pirate était riche ; il équipa trois de ces barques longues connues alors sous le nom de frégates et suivit en Irlande Walter, comte d’Essex, le père de l’infortuné favori d’Elisabeth, Les services que Drake rendit alors contre les rebelles lui valurent l’honneur d’être présenté à la reine. La Grande-Bretagne n’est pas la terre des élévations subites. Bien que les rangs de son aristocratie ne soient jamais fermés, il faut d’ordinaire dans ce pays patient le travail de plusieurs générations pour introduire au sein de la noblesse une nouvelle famille. Cette règle rigoureuse admet cependant des exceptions. Quelques siècles plus tôt, Drake eût pu songer à se conquérir un fief ; il n’était certes pas de plus humble naissance que la plupart des compagnons de Guillaume. Au temps d’Elisabeth, c’était déjà une ambition assez haute de vouloir s’appeler sir Francis Drake. Pour en arriver là, Drake conçut un projet qui montre bien jusqu’où les marins de cette époque pouvaient pousser l’audace. Il résolut d’aller