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ne venge que trop bien ses compatriotes. Ce précurseur de la grande flibusterie tue sans quartier les Espagnols partout où il les rencontre. « Qui terre a guerre a ; » ce proverbe n’est pas moins vrai pour les rois que pour les particuliers. Villegagnon, Ribault, Laudonière et Gourgues ne faisaient que marcher sur les traces des Dieppois qui faillirent intercepter l’escadre de Colomb en 1498, des corsaires plus aventureux encore que Jaquez trouva, en 1516, coupant du bois de teinture sur les côtes du Brésil.

Moins occupés que nous en Europe, les Anglais ne tardèrent pas à porter au commerce et aux colonies de l’Espagne des coups bien autrement sensibles que ceux qui pouvaient leur venir des vaisseaux de François Ier, de Henri II ou de Charles IX. Ce fut à ce métier de contrebandiers et de forbans que se formèrent les meilleurs capitaines de Henri VIII et d’Elisabeth. On les vit à la fois apparaître à droite et à gauche de la ligne de démarcation, aussi peu respectueux des droits du Portugal que de ceux de l’Espagne. En 1551, Thomas Windham tente un premier voyage sur les côtes d’Afrique ; en 1554, Jean Lock et Guillaume Towerson en rapportent de l’or et de l’ivoire ; John Hawkins en 1562 y va chercher des nègres. Les premiers esclaves noirs à cheveux crépus avaient été amenés à Séville par des navires catalans vers l’année 1406. En 1442, les Maures du Rio de Ouro livraient aux Portugais des habitans de la Sénégambie, en échange d’esclaves appartenant à leur propre race. De 1471 à 1574, la baie de Biafra devint le centre du commerce de l’or ; celle de Sierra Leone du commerce des esclaves. Ce fut dans la baie de Sierra Leone que le capitaine Hawkins alla mouiller. Il s’y procura « par l’épée ou par d’autres moyens » des noirs qu’il vint offrir à la colonie espagnole de Santo-Domingo. Le travail des mines avait rapidement dépeuplé Haïti. La reine Isabelle, qui s’indignait à si juste titre en 1499 du sans-façon avec lequel Colomb expédiait en Espagne, à défaut des richesses promises, des chargemens entiers de ses nouveaux sujets, s’était vue cependant contrainte d’autoriser dans les Indes le travail forcé. Elle contribua ainsi involontairement à l’anéantissement de la population indigène. Pour sauver ce qui restait des Indiens, Las Casas recommanda de les remplacer par des nègres ; mais les nègres étaient la propriété exclusive du Portugal. La descendance de Cham devint l’objet d’un commerce interlope, et l’on vit la piraterie suspendre un instant ses rapines pour se livrer presque tout entière à ce trafic.

On n’introduit pas des forbans dans ses ports sans s’exposer à subir quelques avanies. En 1567, Hawkins prend et saccage la ville de Rio de la Hacha, dont le gouverneur fait difficulté de commercer