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furent bien obligés d’occuper le cap Chersonèse : le couvent et l’église furent rasés par l’artillerie russe ou par la pioche de nos travailleurs (les bâtimens actuels ne datent que de 1857). Là-bas, du côté de la Quarantaine, ce qui fut le mur grec, ou le palais de Vladimir, ou la tranchée française, est mêlé et confondu dans le même chaos.

C’est pourtant au nom sacré de Cherson, au nom de « cette terre bénie où saint Vladimir reçut l’eau du baptême, » que le clergé et les généraux russes enflammaient l’ardeur des paysans et des soldats et les poussaient à la guerre de Crimée comme à une croisade. Cette crise a du moins contribué à réveiller l’attachement des Russes pour ce rivage sacré. Presque aussitôt après la paix on releva le couvent, on commença la cathédrale, dont l’empereur Alexandre II posa la première pierre en 1861. Il reste encore beaucoup à faire, surtout pour la science. Cette terre, qui est le cimetière d’un grand peuple, est comme saturée d’ossemens et de débris antiques ; mais les antiquités qu’on y a déjà recueillies sont dispersées dans les musées de la Russie : il faudrait à Cherson même un musée de Cherson ; on ne peut donner ce nom à une centaine de pierres sculptées, d’importance secondaire, qu’on a réunies dans une petite serre du couvent. On a de grands projets pour l’avenir : on voudrait construire ici un plus vaste monastère qui serait un des premiers de la Russie, y créer une bibliothèque, un musée, une académie ecclésiastique, une confrérie, semblable à celle de Kazan, pour la conversion des Tatars ; mais l’argent manque ; si l’on n’a pu encore relever Sébastopol, comment s’occuper de Cherson ?


VI. — LE SEBASTOPOL DE L’AVENIR.

Inkermann, Saint-George, Balaklava, Kamiesch, Cherson, nous ramènent toujours au souvenir de la guerre d’Orient à Sébastopol. Sébastopol est le centre de cette épopée dont on trouve des chants dispersés dans tous les coins de la presqu’île. C’est ce nom que répètent les vieux monastères, les tours des forteresses génoises, les ruines des acropoles grecques, les cavernes de l’âge primitif. Toute cette contrée a suivi et suivra toujours les destinées de la cité qui est bâtie sur la mer, que ce soit la ville grecque, Cherson, ou la ville russe, Sébastopol. Ces campagnes ont vécu de la puissance de Sébastopol, elles sont pauvres de sa ruine, elles peuvent revivre de sa régénération. Qu’était-ce que Sébastopol avant la guerre de Crimée ? Plus puissante peut-être, moins complète, que Cherson, ce n’était qu’une ville de guerre. Aussi la guerre n’a-t-elle rien laissé d’elle, aussi végète-t-elle aujourd’hui, petite bourgade au milieu de ruines grandioses. Son aristocratie se composait d’états-majors et d’administrations ; les villas, les fermes, les vignobles des