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remarquable unité. Il en est de ce mouvement spirituel comme d’un phénomène physique : le désordre et l’accident n’y sont qu’une apparence ; en en connaissant le point de départ, on en eût pu prévoir le terme et toutes les complications. Au travers de ces sectes qui parfois présentent l’aspect d’un chaos, il est facile de tracer une route, facile d’indiquer une évolution générale et naturelle.

Dès l’origine, le schisme moscovite se trouva en présence d’une impossibilité qui eût rebuté des hommes d’une foi moins robuste. Les vieux-croyans se soulevaient pour le maintien du cérémonial et du rituel, et ils se voyaient obligés de renoncer aux rites et aux cérémonies les plus vénérables faute de prêtres, pour les accomplir. Du premier coup, les défenseurs de la vieille foi se voyaient ainsi hors d’état de la pratiquer. Lors de la réforme de Nikone, un seul évêque, Paul de Kolomna, avait embrassé le parti des anciens livres. Emprisonné et peut-être mis à mort, il périt sans avoir consacré d’évêque. Par ce seul fait, le raskol se trouva sans épiscopat, et par suite sans sacerdoce. L’orthodoxie orientale n’est pas seulement une doctrine, c’est aussi, comme l’a dit du catholicisme M. A. Réville, « c’est surtout une manière de constituer la communion de l’homme avec Dieu, par l’intermédiaire d’un sacerdoce organisé, dont les membres se transmettent successivement, sans interruption, les pouvoirs divins qu’ils tiennent du Christ[1]. » Avec la mort de Paul de Kolomna, la chaîne qui reliait les vieux-croyans au Sauveur était brisée, le schisme était à jamais privé des pouvoirs que le Christ a légués à ses apôtres, et sans lesquels il ne peut y avoir ni prêtres ni église.

Le raskol paraissait perdu dès ses premiers pas, il semblait, pour ainsi dire, mort-né. Comment sortir de l’extrémité où il s’était laissé acculer ? Ne voulant pas revenir en arrière, il n’avait devant lui que deux issues : admettre les prêtres consacrés par une église qu’il réprouvait, ou se passer du clergé, qui seul pouvait célébrer le culte pour lequel les vieux-croyans s’étaient révoltés. Les deux solutions étaient presque aussi contradictoires l’une que l’autre, elles eurent chacune leurs partisans. Au premier obstacle, le schisme se divisa en deux groupes qui, depuis deux siècles, demeurent hostiles. a il n’y a pas de christianisme sans sacerdoce, disent les uns ; pour avoir suivi l’hérésie de Nikone, l’église russe n’a pas perdu les pouvoirs apostoliques, la chirotonie, le droit de consacrer des évêques et des prêtres par l’imposition des mains. Leur ordination étant valable, pour avoir un clergé, nous n’avons qu’à ramener à nous et aux anciens rites des prêtres de l’église officielle. » — « Non, répliquent les autres, en quittant les anciens livres, en anathématisant les

  1. A. Réville, l’Église des anciens-catholiques de Hollande, dans la Revue du 15 mai 1872.