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qui servait de bouclier à la Belgique pouvait-elle être éternelle ? L’empire, qui avait ouvert les portes du temple de Janus, pourrait-il jamais les refermer ? Après la paix à tout prix, la guerre à tout prix allait devenir le système du gouvernement français : comment la Belgique pourrait-elle sortir saine et sauve de conflits dont on n’apercevait ni la fin, ni les forces, ni le but ?

Les lauriers de la Crimée étaient encore verts, il fallut en chercher de nouveaux en Italie. Cette fois l’Angleterre ne prenait aucune part à la lutte. Le roi Léopold avait donné sa fille à l’archiduc qui avait tenté vainement de rattacher la Lombardie et la Vénétie a l’Autriche. Rien ne vint soulager les appréhensions que van de Weyer éprouva pendant le second drame militaire que l’empire jouait devant l’Europe. Il ne reconnut pas tout d’abord dans la nouvelle Italie une nation sœur de la sienne, qui cherchait non pas à fonder, mais simplement à retrouver sa nationalité ; il fut choqué des détails, des moyens employés, des annexions, d’un si grand dédain pour les petites couronnes, de cette nouvelle diplomatie par étapes qui ne s’arrêtait jamais et qui ne demandait quelque chose aujourd’hui que pour obtenir davantage demain. Il croyait la Belgique assise sur le roc inébranlable d’un traité, et il voyait le mépris des traités érigé pour ainsi dire en doctrine, non plus par les nations, par les souverains et par leurs ministres. Il aperçut les conséquences les plus lointaines de ce droit nouveau, qui rapprochait les peuples de même langue et travaillait à faire une géographie philologique, et il put se demander ce que deviendrait un jour son pays quand les grandes races européennes s’arracheraient tour à tour les provinces qui leur servent de frontière incertaine et douteuse.

L’Angleterre s’était lentement modifiée sous ses yeux. Ce n’était plus celle qu’il avait connue, représentée par le vainqueur de Waterloo, celle qui plus tard, en 1840, pouvait allier encore l’Europe contre la France : elle avait fait comme un suprême effort pendant la guerre de Crimée, et puis s’était laissée choir dans une sorte d’indifférence et de mollesse ; trop fière pour laisser paraître ses appréhensions secrètes, elle couvrait sa politique d’effacement de théories et de principes nouveaux ; elle applaudissait à ce qu’elle ne pouvait empêcher, elle morigénait encore les souverains et les peuples, mais ses conseils étaient rarement suivis de menaces, et ses menaces prenaient le ton de gronderies. Van de Weyer s’était habitué à la pensée que l’Angleterre saurait protéger la Belgique contre tous les périls, qu’elle avait fait sienne la cause du petit royaume dont un bras de mer seul la séparait ; cette idée lui rendait plus cher un pays qui était devenu son pays d’adoption. Il y était enlacé par mille liens ; tout ce qui était éminent dans la politique, dans les lettres, dans