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d’un droit nouveau qui menaçait les droits historiques. Van de Weyer connaissait mieux que la plupart des hommes d’état le prince qui allait remuer l’Europe : il l’avait vu fréquemment et familièrement dans la maison de son beau-père. Il avait reçu les confidences de cet esprit singulier à une époque où elles ne semblaient que les rêveries d’un aventurier. Le coup d’état du 2 décembre ne l’avait point surpris. Pour complaire au roi des Belges, il dut aller à Paris peu de semaines après ; il vit le prince Louis, M. de Morny et quelques-uns des acteurs du drame qui avait servi de pendant plus sanglant au 18 brumaire. Il tint un journal de cette mission confidentielle, qui sans doute ne verra pas le jour de longtemps. Ses fonctions ne lui permettaient pas d’ouvrir publiquement les bras aux victimes qui vinrent demander un asile en Angleterre ; mais il en est plus d’une qui doit garder le souvenir de sa discrète et inépuisable bonté. L’atmosphère de réprobation européenne qui enveloppa le second empire à ses débuts se dissipa comme un brouillard, quand la question d’Orient donna à Napoléon l’occasion de choisir ses amis et ses ennemis. Le moment que le roi Léopold avait tant redouté était enfin venu ; il écrivait à van de Weyer dès 1834 : « Si nous périssons, ce ne sera que dans une grande convulsion de l’Europe. » Il fit tous ses efforts pour empêcher la guerre, et le prince Albert, qui s’inspirait des mêmes sentimens, risqua courageusement sa popularité dans la même tentative. Lord Palmerston avait encouru la disgrâce de la reine quand il s’était hâté de reconnaître le gouvernement issu du coup d’état, il avait blessé le sentiment public en Angleterre ; mais il retrouva bien vite sa popularité quand il entraîna Napoléon III dans une action commune contre l’empereur Nicolas. La grande « convulsion » se fit sans que la Belgique eût rien à souffrir, et, quand la reine Victoria vint solennellement visiter l’empereur, van de Weyer reçut l’ordre de l’accompagner à Paris. Il serait bien intéressant de connaître le journal de ce voyage, qu’il écrivit avec les plus grands détails, L’empereur lui donna sur la Belgique les assurances les plus formelles et les plus favorables, lui parla librement des souvenirs de l’exil, de tant de changemens opérés dans les hommes et les choses. Il se laissa aller jusqu’à comparer certain libéral illustre qui restait éloigné de lui à ces cochers qui regardent en attendant un signe. « Et ce signe, le ferez-vous ? — Non, il conduit trop mal. »

Van de Weyer, vivant en Angleterre, subissait plus que le roi Léopold l’influence des passions anglaises ; il était sous le regard de lord Palmerston ; il avait en diverses circonstances épousé un peu vivement les sentimens du ministre anglais. Il ne put pas ne point jouir du triomphe de l’Angleterre et de la France, et pourtant ce triomphe était gâté pour lui par toute sorte de terreurs. L’alliance