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yeux sur quelque point décisif. Van de Weyer comprit que la candidature anglaise du prince Léopold restait la dernière ressource et deviendrait le salut de son pays.

Il s’était porté avec ardeur à la solution française, il se porta avec une ardeur égale à la solution anglaise ; il voulait en finir, et, si on refusait à la Belgique le prince Léopold, il était disposé, avec M. Gendebien et quelques autres, à proposer au congrès la proclamation de la république. Lord Palmerston feignait de se laisser faire violence. Lord Ponsonby, par son ordre, continuait à parler du prince d’Orange ; mais il en parlait en des termes qui laissaient bien apparaître que l’Angleterre serait satisfaite de tout ce qui ne serait pas l’union avec la France ou la suzeraineté de la France. On ne voulait à Londres que le bonheur, la prospérité, l’indépendance de la Belgique. Lord Palmerston insinuait que le maréchal Soult était disposé à livrer à l’Angleterre Anvers et Ostende, pourvu qu’on permît à la France de s’étendre vers le nord. Van de Weyer signa le 25 mai, avec 95 autres députés, une proposition où l’on demandait l’élection immédiate du prince Léopold. Il commentait cette proposition dans le congrès, il avouait que depuis longtemps cette combinaison s’était présentée à son esprit ; le prince, qui vivait dans un pays constitutionnel, saurait respecter les libertés de son pays d’adoption.

Envoyé à Londres le 4 juin, après l’élection du prince, pour lui offrir la couronne, il écrivit en arrivant, en quarante-huit heures, une lettre sur la révolution belge, son origine, ses causes et ses conséquences, qui était faite pour détruire les dernières illusions de ceux qui s’attachaient encore au parti orangiste. Il vit le prince et s’assura qu’une fois sur le trône, il saurait se soustraire à la tyrannie de la conférence, ménager la France, et relever par son attitude la dignité de la Belgique. Il devina en même temps que, donner la couronne à Léopold, c’était s’assurer dans la conférence l’appui énergique de lord Palmerston.

Le prince Léopold déploya en cette circonstance la circonspection et la sagacité qui devaient marquer plus tard tout son règne ; il sut, si l’on me permet le mot, se faire désirer, fit ses conditions, et les faire pour soi c’était les faire pour la Belgique. Il prit d’emblée un rôle prééminent, se fit en quelque sorte l’arbitre entre la conférence et le congrès national ; il ne voulait point d’une couronne à tout prix et l’avait déjà montré dans les affaires de Grèce, et pourtant les conditions qu’il posait n’étaient point, on le comprit vite, de simples barrières mises entre son ambition et le rôle périlleux que la fortune lui offrait. Les bases de séparation entre la Hollande et la Belgique, posées par la conférence dans ce qu’on nomma alors les dix-huit articles, devinrent en quelque sorte la