Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conservât pas le Luxembourg. « Je puis me tromper, disait-il, mais il doit y avoir quelque chose de semblable, une pensée de derrière, comme parlait Pascal, qui fait que la France ne nous est pas favorable dans cette affaire. » Il nous semble qu’il se trompait en effet ; si le Luxembourg ne nous appartenait, il valait bien mieux pour la France qu’il fût cédé à la Belgique et ne restât pas une sentinelle avancée de la confédération germanique.

Van de Weyer voyait juste quand il pressentait que les questions territoriales se liaient au choix du futur souverain. Rien d’ailleurs n’était encore plus incertain que ce choix. M. de Celles écrivait à van de Weyer le 31 décembre : « Il nous faut le duc de Nemours avec notre indépendance, ou nous sommes forcés par la nécessité de souscrire aux vœux qui se manifestent pour la réunion à la France. » Lord Ponsonby deux jours après écrivait de Bruxelles à lord Palmerston : « L’opinion du pays n’est pas pour la France. » Van de Weyer eut de longs entretiens avec lord Palmerston ; il le trouva d’abord hésitant, au moins en apparence : le duc de Nemours était mineur, il fallait une main ferme pour gouverner un état nouveau ; pourquoi la Belgique ne prendrait-elle pas le prince Léopold de Saxe-Cobourg ? Il pourrait épouser une fille du roi Louis-Philippe. On pouvait bien objecter la religion du prince, mais l’internonce du pape Cappocini avait été sondé ; le représentant du saint-siège avait formellement déclaré qu’il ne considérait pas le choix d’un prince catholique comme indispensable ; il fallait même s’attendre à trouver un prince protestant plus enclin à respecter les droits de la majorité et de l’église catholique. La cour de Rome redoutait le duc de Nemours plus que le prince Léopold.

Ces déclarations avaient une extrême gravité, venant surtout d’un homme qui s’aventurait rarement et qui calculait ses indiscrétions. Palmerston fit un pas de plus dans un entretien qui eut lieu le 4 janvier : il déclara sèchement que jamais les alliés ne reconnaîtraient le duc de Nemours. « Et si le congrès le choisit ? dit van de Weyer. — Nous inviterons la France à refuser son assentiment, et si elle résiste, une guerre entre elle et le reste de l’Europe pourra en résulter. »

Van de Weyer était encore à ce moment indécis entre la France et l’Europe : il avait des momens de révolte contre les cours, il désespérait de « rebâtir un état nouveau sur les ruines d’un royaume que cinq puissances ont créé. » (Lettre à M. Rogier.) Qui prendre ? Le duc de Nemours, à qui van de Weyer savait lord Palmerston si contraire ? le duc Auguste de Leuchtenberg, allié aux Bonaparte, dont la France devait repousser le choix ? le prince Charles de Capoue, neveu de la reine Marie-Amélie, ou Charles de Bavière, noms jetés un instant dans cette mêlée de rivalités sourdes ou avouées ? Van de