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l’école libérale française. Le gouvernement provisoire était secrètement divisé. M. de Potter était républicain. Un commencement d’antagonisme se manifestait entre les partisans de la France et ceux de l’Angleterre. La Prusse, la première, avait offert au roi Guillaume son secours ; M. Molé déclara, de la façon la plus nette, que, si une armée allemande se montrait en Belgique, une armée française y entrerait le même jour. La Prusse feignit l’étonnement, et recula discrètement, intimidée par une menace aussi péremptoire. Le roi Louis-Philippe avait pris son parti dès qu’il avait nommé le prince de Talleyrand son ambassadeur à Londres : gagner et conserver la confiance de l’Angleterre, livrer la question belge à l’Europe sans entreprendre de la résoudre seul, empêcher à tout prix l’intervention armée de la Prusse ou des autres puissances, tel est le programme auquel sa sagacité s’était arrêtée et qu’il fallait faire accepter de ministères changeans. Van de Weyer avait été envoyé en mission en Angleterre ; les tories étaient encore au pouvoir, et l’opposition seule montrait des dispositions favorables à la Belgique. Le roi Guillaume avait officiellement invoqué (dans une note du 5 octobre 1830) le secours de toutes les puissances signataires des articles constitutifs du royaume des Pays-Bas. Lord Aberdeen, à la suite de cette note, avait provoqué une réunion à Londres des ambassadeurs des cinq cours d’Angleterre, de France, de Russie, de Prusse et d’Autriche. En ouvrant le parlement le 2 novembre, le roi d’Angleterre avait « déploré que l’administration intérieure du roi des Pays-Bas n’ait pu préserver ses domaines de la révolte, » et exprimé le profond regret que lui causait la situation des affaires en Europe. Van de Weyer arriva le jour même où ce discours était prononcé.

Sir John Hobhouse ménagea à van de Weyer une entrevue avec lord Aberdeen. Il déclara au ministre anglais que la résolution des Belges était prise, qu’ils ne se laisseraient point remettre sous le joug, et que, si on les poussait au désespoir, ils se jetteraient dans les bras d’une puissance voisine. Lord Aberdeen lui répondit que la France était d’accord avec les puissances ; il connaissait la mission de M. Gendebien, l’offre de la couronne belge faite au duc de Nemours. — Le piège était bien tendu, van de Weyer ne s’y laissa point choir. Il savait que M. Gendebien n’avait pas de pouvoirs pour traiter de la couronne ; il communiqua à lord Aberdeen les instructions secrètes qu’il avait reçues, et lui donna sa parole d’honneur que celles de M. Gendebien étaient identiques. « Vous voyez bien, lui dit-il, que la question de la couronne n’est point tranchée. » Il avait bien vite compris que le gouvernement anglais avait moins de zèle pour la Hollande que de jalousie de la France. Le lendemain, le prince d’Orange exprima le désir de voir van de Weyer.