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de Weyer avait rédigé une adresse ; le mot de séparation n’y était pas prononcé. Le prince d’Orange envoya un aide-de-camp de Vilvorde à Bruxelles pour demander à M. le baron Vanderlinden, commandant de la garde bourgeoise organisée pour maintenir l’ordre, de venir conférer avec lui. M. d’Hogvoorst partit avec van de Weyer et quatre autres délégués. Après quelques pourparlers, le prince consentit à entrer à Bruxelles sans troupes, avec son état-major seulement. Le prince arriva le 1er septembre par le pont de Laeken, il vit le drapeau brabançon, des barricades, une bourgeoisie silencieuse. Il resta trois jours à Bruxelles et eut plusieurs entretiens avec van de Weyer. Celui-ci le supplia de se mettre à la tête des Belges et de rester à Bruxelles. Le prince craignait d’offenser son père : le spectacle qu’il avait sous les yeux, le langage qu’il entendait, tout lui faisait craindre cependant que les Belges ne fussent résolus à obtenir au moins une complète séparation administrative. Liège, Louvain, Namur, toutes les villes avaient suivi l’exemple de Bruxelles. Van de Weyer flatta l’ambition du héros des Quatre-Bras, lui montra les avantages d’une combinaison politique qui donnerait deux couronnes à la maison de Nassau et qui satisferait à la fois les vœux des Belges et des Hollandais. Le prince demanda quinze jours pour réfléchir ; van de Weyer s’engageait à maintenir les choses dans l’état : au bout de ce temps, il serait lui-même dégagé.

Dès le premier jour, nous le voyons prendre un rôle dominant, se placer au premier rang non par l’art grossier d’un tribun ou d’un agitateur populaire, mais par la netteté de ses vues, une décision courageuse et sagace, par l’autorité d’un bon sens aigu et pour ainsi dire prophétique. Van de Weyer se jeta résolument dans une révolution qui avait un caractère vraiment national ; cependant il savait bien qu’aux yeux de l’Europe elle semblerait une simple contrefaçon de la révolution de juillet, il connaissait l’esprit altier, persévérant, fécond en ressources du roi Guillaume, il devinait combien il serait difficile de trouver un roi pour la Belgique, de fonder une petite république entre tant de monarchies, et il lui sembla qu’une sorte d’union personnelle de deux royaumes était la meilleure sauvegarde des libertés belges. Il n’hésita pas à signer, le 3 septembre, la proclamation dans laquelle les officiers de la garde bourgeoise s’engagèrent sur l’honneur à ne point souffrir de changement de dynastie et à maintenir l’ordre.

Le roi Guillaume ne voulut pas traiter les Belges autrement qu’en rebelles ; il ne lui convenait pas de couronner une révolte, même dans la personne d’un fils ; il avait des griefs anciens contre ce fils, dont il redoutait les caprices, l’humeur hasardeuse et l’ambition. En ouvrant ses états-généraux, le roi parla en maître irrité, tout en laissant deviner une séparation administrative des Pays-Bas