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communs à toutes les tribus. Ces blasons sont la baleine, la tortue, l’aigle, le loup, la grenouille. Les membres de la même tribu peuvent se marier entre eux, mais jamais ceux du même totem : une baleine ne peut épouser une baleine, elle a le choix entre une grenouille, une tortue, un loup, un aigle. Chez les Indiens de l’Amérique et beaucoup d’autres sauvages, ces dans sont constitués exclusivement par la descendance dans la ligne féminine : l’enfant appartient au clan de la mère. Il en résulte parfois que les clans changent de place : si les Chitsang épousent beaucoup de femmes nahtsing, les enfans portent ce dernier nom, et, à mesure que les pères meurent, le pays des Chitsang se trouve occupé par des Nahtsing.

L’idée de la parenté telle qu’elle existe chez les peuples civilisés nous semble tellement nécessaire et naturelle que la constitution juridique de la famille sur la base du droit de la mère et de la filiation dans la ligne féminine nous paraît le monde renversé. On en rencontre pourtant des vestiges dans tous les pays du globe. Chez les races inférieures, la généalogie se trace par la mère, les biens d’un homme se transmettent aux neveux. Plus tard le principe de la paternité prévaut au moins chez les races les mieux douées. Dans certains cas, la parenté du père se substitua si complètement à celle de la mère que celle-ci fut pour ainsi dire exclue. C’est ce qui explique, d’après M. Lubbock, une curieuse coutume que l’on rencontre chez les Indiens de l’Amérique, en Asie et jusque dans le midi de l’Europe : à la naissance de l’enfant, c’est le père qui se met au lit et qu’on soigne. C’est ce qui s’appelle en Béarn faire la couvade. M. Giraud-Teulon veut voir dans ces bizarres pratiques un symbole d’adoption par lequel le père est en quelque sorte investi de droits égaux à ceux de la mère.

Afin de rendre visible le progrès dans le développement des systèmes de parenté, M. Lubbock compare les termes employés par les différens peuples pour désigner les mêmes degrés d’affinité, il distingue par exemple six phases successives dans les dénominations de la descendance d’une tante paternelle. Dans la première, celle des îles Sandwich et des Iroquois, la tante se confond avec la mère ; dans la seconde, celle des Micmacs, elle a déjà un nom à part, mais sa descendance est encore confondue avec celle de la mère : le cousin s’appelle frère. Chez les Vitiens, qui représentent la quatrième phase, on voit paraître le titre de cousin. Enfin, les arrière-petits-fils de la tante sont distingués des petits-fils ; c’est la dernière phase, celle que l’on rencontre en Europe. La signification de ces nomenclatures est d’ailleurs confirmée par des lois et des coutumes qui prouvent qu’elles ont une portée toute pratique. « De même que les valves indiquent la marche du sang dans nos veines, dit M. Lubbock, de même les termes employés pour désigner les parens indiquent l’histoire des temps passés. »

Il faut dire pourtant que l’ordre de succession des différentes phases