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l’origine maternelle succède l’établissement de la paternité fondée sur des présomptions. Dans les communautés primitives, la recherche de la paternité se fait d’après la ressemblance physique. Plus tard vient l’adoption civile spéciale, enfin la filiation juridique régulière, basée sur une fiction. Selon M. Bachofen, la substitution de la parenté mâle à la parenté féminine aurait été une phase du développement de l’humanité, la crise la plus importante dans l’histoire des relations des deux sexes ; « on rompt les liens du tellurisme, et le regard s’élève vers les régions supérieures du cosmos ; » c’est le triomphe de l’esprit sur la matière, ajoute le jurisconsulte de Bâle, plus érudit que galant. Il est assurément plus simple d’y voir le désir bien naturel des pères de laisser leurs biens à leurs enfans dès que les affections de famille furent devenues plus fortes, ou bien on peut admettre, avec M. Giraud-Teulon, que l’organisation patriarcale de la famille a pour premier mobile l’intérêt, le père revendiquant la propriété des enfans, considérés comme une richesse.

En somme, la thèse de M. Bachofen ne répond probablement à la réalité des faits que dans des cas exceptionnels. Il en est de même de la théorie de M. Mac-Lennan, qui paraît compliquée et subtile, et que nous nous dispenserons de reproduire. Pour M. Lubbock, le mariage individuel est sorti de la communauté primitive comme la propriété s’est dégagée de la communauté des biens, par les revendications, par les prises de possession, auxquelles devaient être enclins les chefs puissans et les guerriers redoutés. La première épouse fut une captive de guerre : au lieu de la tuer, le ravisseur la garde avec lui, c’est son droit, qui n’empiète pas sur les privilèges de la tribu. L’exogamie, le mariage en dehors de la tribu, devenait une conséquence naturelle de la nécessité de voler la femme qu’on voulait posséder tout seul. On ne pouvait la prendre de force au sein de la tribu, on allait donc chercher sa femme chez les voisins. L’habitude de tuer les filles nouveau-nées aurait été dès lors une conséquence plutôt que la cause de l’exogamie, comme le voudrait Mac-Lennan.

Quelle que soit au reste l’origine de la coutume de l’exogamie, ce qui est certain, c’est qu’elle est encore très générale. Chez les peuplades exogames, aucun homme ne peut épouser une femme portant le même nom de famille. Les tribus sont divisées en clans, et les hommes d’un clan ne peuvent choisir leurs femmes que dans un clan différent. Un Kalmouck de la horde Derbet par exemple peut épouser une femme de la horde Torgot, mais non une femme de sa propre horde. La coutume est fort répandue parmi les peuples de l’Inde, de la Sibérie, de la Tartarie et de la Chine, chez les sauvages de l’Amérique et les peuplades africaines. Les membres des différens dans sont dispersés dans toute la nation, et la défense des unions entre individus du même nom crée souvent des difficultés. C’est ainsi que les Indiens de la Colombie anglaise se divisent en tribus et en totems (blasons)