Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principal de leurs exploits. En effet, l’organisation gynécocratique semble être le propre des peuples qui ouvrent l’histoire ancienne, des « barbares, » Lyciens, Kares, Éthiopiens, Léléges, Couschites, Nubiens, des hommes de race brune. La femme a des attributions juridiques et sacerdotales, elle est inviolable ; dans la famille, c’est elle qui fait souche. L’homme est l’amant légal, non l’époux de sa femme, il n’habite même pas avec elle, ses vrais « enfans, » ses héritiers, sont les enfans de sa sœur. La mère, voilà pour ces races toute la famille ; c’est par elle que s’établit l’état civil, la filiation juridique. La femme étrusque, lydienne, dispose de sa main, choisit son époux. Chez les Cantabres, les frères sont donnés en mariage par leurs sœurs. Bien des vestiges du « droit de la mère » se rencontrent encore dans les coutumes des Basques, descendans des anciens Ibères. Ici, le droit d’aînesse a lieu sans distinction des sexes ; lorsqu’il échoit à la fille, elle devient l’héritière, le chef de la famille, donne son nom à son époux, et le transmet à ses fils. Malgré les réformes du siècle dernier, la tradition persiste dans les vallées, et l’on cherche à éluder le code civil.

La parenté par les femmes était donc une coutume très générale dans l’antiquité, et elle se retrouve encore chez une foule de nations barbares qui établissent leur filiation exclusivement dans la ligne féminine, comme les tribus sauvages de l’Amérique et beaucoup de tribus africaines. Chez les Nubiens, au dire d’Abou-Selah, ce sont les fils de la sœur du roi qui lui succèdent de préférence à ses propres fils ; des coutumes analogues se sont conservées chez les Berbères actuels. Chez les Touaregs, l’enfant suit la condition de sa mère : le fils d’un père esclave et d’une femme noble est noble, celui d’un père, noble et d’une femme esclave est esclave. « Entre eux, dit M. Duveyrier, ils distinguent par le nom d’ebna-sid, fils de leur père, les tribus qui, exceptionnellement et depuis l’introduction de l’islamisme, ont adopté la succession paternelle. »

M. Bachofen attribue l’avènement de la gynécocratie à une révolte des femmes, fatiguées d’un joug trop dur. Il est difficile de se figurer une mutinerie des femmes sur une grande échelle, qui fait tout à coup passer le pouvoir entre leurs mains ; il paraît plus naturel de ne voir dans la suprématie des femmes chez certains peuples qu’un fait de race au lieu d’une phase générale du développement de l’humanité. La race aryenne ne paraît pas avoir jamais obéi à ces lois, si étrangères à l’ensemble de ses sentimens. La parenté par les femmes, la filiation dans la ligne féminine, que l’on rencontre si souvent chez les nations barbares, s’expliquent au reste simplement dès qu’on prend pour point de départ un état primitif de communauté des femmes. Dans de pareilles conditions, il est évident que le lien entre père et fils existe à peine, tandis que la mère est naturellement indiquée sans erreur possible.

Dès que la famille doit passer sous le droit du père, une première difficulté se présente, la reconnaissance de l’enfant. A la certitude de