Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est la polyandrie restreinte à la famille ; elle était en pleine vigueur parmi les clans de l’Inde antique, au témoignage du Mahâbharata.

On le voit, la famille chez les peuples barbares présente les aspects les plus variés ; mais nulle part le sort réservé à la femme n’est digne d’envie. Pour compléter ce triste tableau, il faut encore parler d’un usage révoltant, extrêmement répandu dans les pays non civilisés, l’infanticide. Les sauvages n’hésitent jamais à sacrifier leurs enfans nouveau-nés lorsqu’ils ont de la peine à se procurer leur subsistance. Dans beaucoup de pays, ce sont les filles qui sont sacrifiées de préférence, comme causant plus d’embarras que les garçons. La proportion des hommes et des femmes s’en ressent ; pour l’Australie, selon sir G. Grey, cette proportion est de 1 à 3, selon d’autres de 2 à 3. Dans l’Inde, le meurtre des filles nouveau-nées était, il y a peu de temps, d’un usage général, et l’on trouvait des tribus où il existait à peine une fille sur 200 enfans. Le gouvernement anglais a fait de louables efforts pour remédier à cet état de choses.

Dans cette infinie diversité des formes qu’affecte l’union des sexes chez les peuples connus, sir John Lubbock, d’accord avec MM. Bachofen et Mac-Lennan, veut voir beaucoup moins des faits de race que les différentes phases d’une évolution progressive commune à toute l’humanité, phases que les ancêtres des peuples civilisés ont traversées à une époque reculée de leur histoire et dans lesquelles les nations barbares sont encore engagées de nos jours. La première phase, l’état de nature en quelque sorte, aurait été la promiscuité absolue ou du moins la communauté des femmes dans des groupes plus ou moins larges, dans ou familles. Le mariage n’existait pas ou n’existait que comme « mariage en commun, » communal marriage, pour employer l’euphémisme de M. Lubbock, c’est-à-dire que tous les hommes et toutes les femmes d’un groupe appartenaient indifféremment l’un à l’autre.

Ici se présente immédiatement une objection que M. Darwin a déjà fait valoir. On sait que parmi les animaux supérieurs beaucoup sont strictement monogames, d’autres polygames, chaque famille faisant bande à part, ou bien plusieurs familles formant une association. Faire de la promiscuité absolue la loi des premières sociétés, c’est donc placer l’homme au-dessous d’une foule d’animaux. En fait, la polygamie est très fréquente chez les peuples primitifs, il y en a même qui sont monogames, comme les Veddahs de Ceylan. Enfin il ne faut pas oublier que la promiscuité serait pernicieuse pour l’espèce : il est prouvé qu’elle entraîne la stérilité. Quels que soient les doutes qui s’imposent dès le début, il vaut la peine d’examiner les argumens dont on étaie cette étrange conclusion.

On invoque d’abord le témoignage de l’histoire. Hérodote et Strabon ont trouvé la communauté des femmes chez les Massagètes, les Auséens, les Nasamones, les Garamantes. En Chine, les femmes furent