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de femmes aux peuplades voisines, et s’en occupaient ensuite si peu, que les hommes et les femmes parlaient des idiomes différens.

Chez beaucoup de peuplades, on ne rencontre absolument rien qui ressemble au mariage ; aucun mot dans la langue qui signifie épouser, Il en est ainsi chez certaines tribus de la Californie, de l’Amérique méridionale, de l’Afrique, de l’Inde. Les Tihurs de l’Oude vivent ensemble dans de grands établissemens où tout est en commun ; si deux individus se marient, le lien n’est que nominal. On ne voit guère en quoi cet état social diffère de la promiscuité. Dans d’autres cas, les mariages sont essentiellement temporaires. Aux îles Andaman, l’homme et la femme restent ensemble jusqu’à ce que l’enfant soit sevré, ils se séparent alors pour chercher chacun de son côté un nouveau compagnon. Ailleurs encore c’est un lien si léger que l’on se prend et se quitte sans autre cérémonie, il suffit que la chose soit de notoriété publique. Les Arabes Hassaniyeh se marient « aux trois quarts, » la femme est légalement mariée trois jours sur quatre, et le quatrième elle fait ce qui lui plaît.

« N’épouser qu’une seule femme est un devoir local, » a dit Voltaire, En effet, la polygamie est, comme on sait, en honneur chez beaucoup de peuples. Elle est simplement un luxe dans les pays où les femmes sont des esclaves. Même chez les Hébreux, la pluralité des épouses était admise en droit, et ce sont les patriarches de la Bible qu’invoquent les mormons, qu’invoquaient au moyen âge les anabaptistes comme les inventeurs et les patrons de la polygamie. Beaucoup plus rare est la polyandrie, moins cependant qu’on ne le croit ; elle est assez répandue dans l’Inde, au Thibet, à Ceylan. Mac-Lennan et Morgan, qui la considèrent comme l’une des phases qu’aurait traversées l’institution du mariage, multiplient les exemples, — ce ne sont très souvent que des cas de communauté des femmes. La polyandrie légale n’est guère, selon toute probabilité, qu’un système exceptionnel, accidentel, un remède héroïque contre le célibat dans les pays où les femmes sont en minorité. Dans le chaos social et religieux dont l’Inde offre le spectacle, par suite du mélange des réminiscences autochthones avec la civilisation apportée par la conquête aryenne, on découvre sans peine des spécimens de toutes les formes de l’union maritale. Nous y trouvons la polyandrie absolue à côté de la polyandrie réduite à une alliance avec plusieurs frères. Chez les Todas, qui habitent les pentes des Nilgherries, lorsqu’un homme épouse une fille, elle devient la femme de tous les frères de son mari, à mesure qu’ils arrivent à l’âge d’homme, et eux aussi seront les maris des sœurs de leurs femmes à mesure que celles-ci deviendront nubiles. Le premier enfant de la femme a pour père le frère aîné, le second le frère cadet, et ainsi de suite. Malgré cela, les Todas montrent de l’attachement pour leurs enfans. Chez une autre tribu de l’Inde, les Tottiyars, la coutume veut que les frères aussi bien que les oncles et les neveux possèdent leurs femmes en commun.