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exécutions sauvages se multiplient. A la Roquette, l’archevêque de Paris, le président Bonjean, le curé de la Madeleine, M. Deguerry, des religieux pris comme otages sont fusillés sans pitié. A Arcueil, les dominicains sont massacrés. Au Père-Lachaise ou à Belleville, des ecclésiastiques, des gendarmes, des sergens de ville, des soldats qui ont refusé de servir la commune, périssent pêle-mêle sous les coups des bourreaux. A mesure qu’elle se sent pressée, l’insurrection épuise tous les crimes, comme si avant de disparaître elle tenait à laisser derrière elle dans Paris une traînée de sang et de feu. L’heure arrive cependant où le mouvement de l’armée, précipité par les fureurs, s’accomplissant de tous côtés, par l’intérieur, par l’extérieur, vient cerner les derniers fanatiques de l’émeute dans leurs réduits les plus extrêmes, aux buttes Chaumont, à Belleville, au Père-Lachaise. C’est le 28 mai seulement, à trois heures de l’après-midi, que tout est fini. La résistance a cessé, l’insurrection est vaincue. Ce que cette bataille de sept jours avait coûté aux insurgés, nul certes ne peut le dire. L’armée comptait plus de 800 morts, officiers ou soldats, 7,000 blessés. Le maréchal de Mac-Mahon pouvait dire laconiquement aux habitans de Paris : « L’armée de la France est venue vous sauver. Paris est délivré. » Et M. Thiers à son tour pouvait dire à l’assemblée de Versailles : « Paris est rendu à son véritable souverain, c’est-à-dire à la France ! »

C’était le dernier mot d’une effroyable lutte qui se dénouait sans doute comme elle devait se dénouer, par une victoire de la société régulière, mais qui était de nature à laisser des traces profondes. Pendant deux mois, un pays tout entier avait été réduit à rester le témoin consterné et humilié du règne des malfaiteurs, maîtres de hasard de la plus illustre des capitales. Cette insurrection du crime, elle avait commencé par le meurtre, elle finissait par le feu et par les massacres. Elle n’avait pu triompher qu’à la faveur d’une des plus douloureuses épreuves qui puissent être infligées à un peuple, et elle n’avait vécu que pour prolonger, pour aggraver cette épreuve qui coûtait plus d’un milliard sans parler de toutes les misères morales. Elle avait prétendu être une protestation contre une paix cruelle, et elle avait fait tout ce qu’il fallait pour rendre cette paix plus lourde et plus dure. En prétendant défendre Paris, elle avait risqué de ternir ou de faire oublier l’honneur d’un grand siège qui venait à peine de finir, — et la seule victoire qu’elle eût remportée avait été d’offrir à l’étranger, campé sur les hauteurs de Montmorency, le spectacle des infortunes d’une ville incendiée par ses fureurs !


CH. DE MAZADE.