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la négociation de la paix, le résultat ne répondait pas toujours à ce qu’on aurait espéré. Le général Ducrot, après bien des efforts, n’avait pas plus de 8,000 hommes à conduire à Saint-Cyr au 20 avril. Le général Clinchant n’avait guère plus de 7,000 hommes à ramener de Cambrai, et comme il avait à traverser des territoires occupés par les Allemands, c’était une difficulté de plus qui lui faisait encore perdre quelques jours. Tout marchait cependant. Cette armée, qui avait son premier noyau dans les divisions ramenées de Paris le 18 mars, était déjà assez nombreuse au 5 avril pour être presque complètement réorganisée et placée sous les ordres du maréchal de Mac-Mahon. Elle formait trois corps, le 1er sous le général Ladmirault, le 2e sous le général de Cissey, le 3e, exclusivement composé de cavalerie, sous le général Du Barail. Avec les troupes amenées de Cherbourg, de Cambrai ou d’Auxerre avant la fin d’avril, on pouvait former un quatrième corps sous le général Douay, un cinquième corps sous le général Clinchant. Enfin, sous le nom d’armée de réserve, le général Vinoy gardait, à côté du maréchal de Mac-Mahon, le commandement indépendant de trois divisions, les divisions Faron, Bruat et Vergé, destinées d’ailleurs comme les autres aux opérations actives. Une immense artillerie avait été aussi recomposée.

Tout cela se faisait en quelques semaines, et jusque dans cette épreuve nouvelle, jusque dans ces misères que lui infligeait une insurrection effroyable, la France trouvait du moins cette compensation de voir reparaître une armée, une véritable armée obéissante et fidèle. M. Thiers était tout entier et le premier à cette œuvre, toujours prêt, toujours actif, s’occupant de tout, écrivant familièrement à un des généraux : « Vous aurez satisfaction sur tous les points ; mais aujourd’hui, jour de Pâques, personne, excepté moi, ne travaille. J’étais au travail à cinq heures du matin, il est six heures du soir, et je n’ai pas fini… » On l’accusait de jouer au soldat, et c’était ce qui le rendait un peu suspect à Berlin. Il obéissait à une vieille passion, allumée en lui au spectacle de nos anciennes grandeurs, contristée par des désastres, mais non découragée, la passion de la puissance militaire de la France, et sans cette passion, sans ce goût des choses militaires, si l’on veut, rien n’eût été peut-être possible en ce moment. De toutes parts, on échappait à la défaite et à la captivité. M. Thiers, simplement, noblement, sans condition, sans distinction, se plaisait à rechercher tous ces chefs qui avaient certes fait leur devoir pendant la guerre, mais qui avaient été malheureux. Il se montrait avec eux ce qu’il était naturellement, sympathique, cordial, plein d’estime, et en s’empressant de les remettre à leur vraie place, à la tête des troupes, en leur offrant une occasion nouvelle de servir le pays, il donnait