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rencontrer de résistance, sans conflit, aux buttes Chaumont comme à Belleville, comme à Montmartre, où les brigades Lecomte et Paturel restaient maîtresses de la butte et de la place Saint-Pierre. On avait surpris un poste de garde nationale, déjà on attelait des canons. Il n’y avait eu que quelques coups de feu de hasard et un homme atteint.

On crut un moment avoir cause gagnée. Ce n’était au contraire que le prélude de la plus effroyable déception. Jusque-là en effet, à Montmartre, la population endormie n’avait rien vu et ne savait rien. Bientôt elle se réveillait, elle sortait de ses maisons et se répandait dans les rues, grossissant rapidement, s’exaltant par degrés. La générale battait partout dans le quartier, appelant la garde nationale aux armes, et la situation ne tardait pas à devenir terrible dans ce massif dont on tenait les crêtes, mais qui commençait à être cerné, envahi par les bataillons obéissant à l’appel des représentans du comité central. Dès lors on peut dire que l’opération avait échoué ; elle ne manquait pas, comme on l’a dit, par une imprévoyance particulière de commandement, par un retard dans l’arrivée des attelages chargés d’enlever les canons à la suite des troupes. La présence des 1,200 chevaux nécessaires dans les rues tortueuses de Montmartre n’aurait pas sensiblement avancé les choses. L’illusion avait été de croire qu’un coup de main, possible pour enlever une position, l’était également pour enlever 200 pièces d’artillerie enchevêtrées les unes dans les autres. Il fallait au moins vingt-quatre heures, peut-être quarante-huit heures. Il n’avait pas fallu ce temps-là pour qu’une foule furieuse mélangée de garde nationale, de peuple, de femmes, d’enfans, se ruât de toutes parts, insultant les officiers, enveloppant les soldats et coupant toutes les communications.

Déjà, avant neuf heures du matin, tout s’assombrissait étrangement. A l’intérieur de Montmartre, le général Lecomte, chargé de garder la place Saint-Pierre et les abords de la butte par la rue Muller avec le 18e bataillon de chasseurs et le 88e de ligne, le général Lecomte était serré de près. Vainement il multipliait les efforts, employant la persuasion ou la menace, cherchant à se maintenir ou à se dégager sans vouloir faire usage de ses armes ; il se trouvait dans une sorte d’impasse entre les gardes nationaux qui venaient de reprendre la hauteur et la populace qui se mêlait à ses troupes en les troublant par ses cris et par ses captations. La défection soudaine du 88e de ligne le laissait sans défense et le livrait comme otage aux émeutiers qui se hâtaient de traîner leur captif au Château-Rouge. Le général Paturel, qui se trouvait au moulin de la Galette avec quelques compagnies, avait été assailli, renversé d’un coup de crosse au visage, menacé d’être écharpé, et il avait de la peine à se