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six mois, avait hâte de reprendre son activité, et il ne le pouvait pas sous le coup de cette formidable artillerie qui menaçait Paris, que des mains inconnues pouvaient allumer à l’improviste. Enfin on touchait au 20 mars, au jour où l’assemblée devait se retrouver à Versailles, et cette sédition en permanence ressemblait à un défi jeté à la souveraineté nationale, à une justification des craintes manifestées à Bordeaux. Oui, sans doute, il fallait en finir, d’autant plus qu’on avait épuisé tous les moyens, jusqu’aux négociations pour désarmer l’émeute sans combat, et qu’à parlementer plus longtemps on risquait de tomber dans le ridicule. Maintenant la question de force apparaissait. Or quelle était la situation militaire au moment où l’on se décidait à engager la lutte ?

Tout dépendait de cette situation qui n’avait sûrement rien de brillant, qui n’avait pu reprendre encore une consistance sérieuse. Ce que le général Vinoy avait pu faire de mieux depuis quelques jours avait été de se dégager d’abord, de dégager Paris de ces masses militaires qui avaient formé l’ancienne armée du siège, et qui pouvaient devenir par oisiveté des auxiliaires de sédition. Il avait fait partir les mobiles des départemens, puis les libérés de l’armée régulière au nombre de 120,000 hommes. Tous ces mouvemens étaient à peu près accomplis au 12 mars, au moment même où les Prussiens quittaient définitivement Versailles et les forts du sud pour aller camper sur la rive droite de la Seine. Un peu débarrassé de ce côté, le général Vinoy restait en face d’une insurrection toujours menaçante avec ce qu’on pouvait appeler la nouvelle armée de Paris. Il avait la vieille division Faron, qui avait échappé au désarmement, et qui gardait encore assez de tenue pour être la plus sûre ressource. Il venait de recevoir aussi deux divisions placées sous les ordres du général Susbielle et du général de Maud’huy. D’une troisième division, une partie seulement, la brigade Bocher, avait pu arriver.

C’était une certaine apparence de force, si l’on veut ; en réalité, il n’y avait pas 30,000 hommes. De plus ces régimens venant de l’armée de la Loire ou de l’armée du nord pour se compléter à Paris avec des hommes liés encore au service, ces régimens des divisions nouvelles se trouvaient ainsi composés de soldats de province fatigués, dégoûtés, ahuris du tumulte parisien, et de soldats qui rentraient dans un corps après un mois passé dans les cabarets de Montmartre. Le résultat était ce 88e qui allait acquérir la triste célébrité de la défection. Le général Susbielle s’était épuisé une journée entière, le 16, à rassembler ses hommes, qui écoutaient à peine leurs officiers, et il n’avait pas dissimulé la vérité au général Vinoy. Il y avait de quoi frémir d’entreprendre une action un peu sérieuse avec de tels soldats.