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d’inimitié contre les hommes, y a-t-il eu place dans son âme pour des affections ? Oui, quelque étrange que cela paraisse. « Il faut donner cette gloire naturelle à M. d’Épernon, dit Brantôme, que c’estoit le fils qui honoroit le plus son père et qui honore fort encore sa mère, tout grand qu’il est, tout ainsy que quand il estoit soubs le fouet[1]. » Pour son frère, si digne en effet d’être aimé, il eut une tendresse sans bornes. De ses enfans légitimes, il n’a chéri que le seul Bernard, — de ses nombreux bâtards, le seul chevalier de La Valette. Sa femme, Marguerite de Candale, dont la vie fut courte, ne semble avoir laissé d’autre trace dans la sienne que l’opulent héritage et les grandes alliances qu’elle lui a portés en dot ; son souvenir pourtant devait lui rester cher pour l’intrépidité digne de lui qu’elle montra dans la sédition d’Angoulême, et s’il est vrai surtout qu’elle mourut de saisissement en apprenant à l’improviste la blessure qui le mit en péril au siège d’Aix. L’historiographe Girard veut faire à d’Épernon un mérite d’être resté fidèle à sa mémoire et d’avoir obéi au vœu de la mourante en ne convolant point en secondes noces. Outre que la fidélité n’est pas autrement exemplaire du veuf qui reconnut cinq enfans naturels de différentes mères dans les années qui suivirent la mort de sa femme, nous voyons par la correspondance de Gaumont La Force que, sans l’intervention d’Henri IV, d’Épernon, à la fin de 1598, était sur le point d’épouser la marquise de Maignelay, veuve de Florimond de Piennes et belle-fille du duc d’Halluyn, celle même dont la fille fut plus tard duchesse de Caudale. D’immenses richesses étaient entre les mains de la mère et de la fille. Henri IV, si inquiet déjà de la puissance de d’Épernon, s’effraya sans doute de le voir acquérir en Picardie et en Bretagne des moyens d’influence non moindre qu’en Guyenne. « Merveilleusement offensé, dit La Force, il rompit le coup[2]. » De ses maîtresses, on sait les noms, Mme de Balagny, entre autres, une des sœurs de Gabrielle, qui composaient à elles six, avec leur frère, le futur maréchal d’Estrées, la réunion des sept péchés mortels. Il eut d’elle Louise de La Valette, l’abbesse peu édifiante de Sainte-Glossine de Metz, une des plus endiablées nonnains du siècle. Aucune de ces « pimbêches et rosées femelles » n’a, que je sache, possédé son cœur. En revanche, il a eu des amis et des amies, il a même inspiré de véritables dévoûmens. Il plaçait ses affections en bon lieu, et les noms lui font honneur de ceux qui l’ont aimé. Roquelaure, non le bouffon en qui s’est incarné en quelque sorte le type du Gascon classique, mais le premier maréchal, l’ami d’Henri IV, Révol, Crillon, Cospéan, Monchal, Jonzac, Bassompierre, La Curée, d’Ars, Fabert, Puységur, Du

  1. Brantôme, édition Foucault, t. IV, p. 112.
  2. Mémoires publiés par le marquis de La Grange, t. Ier, p. 297, 298.