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invoqué par ceux des ennemis de son bourreau qui luttaient encore. Soissons, Bouillon, Cinq-Mars, ont demandé conseil à l’exilé de Plassac ; aussi l’œil de Richelieu l’y surveillait-il jalousement. Quand éclata le soulèvement des confédérés de Sedan, on fit au vieillard de quatre-vingt-huit ans l’honneur de l’estimer dangereux à telle proximité de la Guyenne où pouvaient se perpétuer encore quelques restes de son influence. Un ordre du roi, qu’il chercha vainement à éluder jusqu’à ce que la bataille de la Marfée eût tranché une fois de plus la question en faveur de Richelieu, le contraignit à se rendre à Loches. Son logis était prêt apparemment dans la prison de Balue et de Ludovic le More. Grâce à la mort de Soissons, on le laissa en liberté. Six mois après, le 13 janvier 1642, il tombait, vaincu enfin par l’âge.

Avait-il réellement gardé jusque-là le privilège de donner du souci au tout-puissant cardinal ? Il est facile de trouver à ses dernières persécutions une explication plus vraisemblable : Richelieu n’avait pas pardonné. Les ressentimens de l’homme privé survivaient aux craintes de l’homme d’état. D’Épernon l’avait obligé, d’Épernon l’avait effrayé, d’Épernon n’avait pas fléchi, — trois offenses mortelles. En 1619, d’Épernon l’avait vu à Angoulême, humble, petit, obséquieux, cherchant à s’insinuer dans les bonnes grâces de Marie de Médicis, mais tenu en échec par l’influence de Ruccellay ; c’est d’Épernon, Balzac, témoin oculaire l’atteste[1], qui avait en quelque sorte imposé l’évêque de Luçon à la reine, en écartant le Florentin. Ce service, point de départ de sa fortune politique, jamais Richelieu n’a su le pardonner. D’autres s’en tirent purement et simplement par l’oubli ; Richelieu était de ceux à qui pèse une obligation et qui la tiennent à grief. On a très justement remarqué qu’à dater de la journée des dupes il n’a plus eu pour le cardinal de La Valette que de faux semblans d’amitié ; mais la cause durable de son ressentiment, ce fut la terreur qu’il avait laissé voir à d’Épernon lorsqu’il s’était trouvé à sa merci dans Bordeaux, et que la malice imprudente du gouverneur s’était complu à le faire trembler, humiliation d’autant plus cuisante qu’elle n’était pas exempte de ridicule pour qui endossait si volontiers la cuirasse du général. Enfin l’intraitable Gascon, terrassé, enseveli sous les ruines de sa puissance et de sa maison, l’avait bravé en refusant de s’avilir. Il ne daignait pas même se conformer au cérémonial que la vanité du prince de l’église avait imposé à la France et à l’Europe ; il ne lui donnait pas du monseigneur. Quand on aura découvert dans la vie de Richelieu un exemple, je dis un seul, d’une vengeance satisfaite avant la mort de sa victime, on pourra

  1. Entretiens, Elzev., 1663, p. 116.